BERLIN ET SPANDAU

La sortie de l'ombre

L'Empire agonisant

Le traité de Vienne, du 14 octobre 1809, a mis fin à la guerre aux dépens de l’Autriche qui perd plusieurs provinces et toute sa façade sur l’Adriatique, attribuée à la France. Le tsar reçoit le Sud de la Galicie, mais n’accepte pas de voir la Galicie du Nord arrondir le duché de Varsovie.

Divorce et remariage
De retour à Fontainebleau, Napoléon annonce à Cambacérès son intention de divorcer. Son mariage religieux avec Joséphine est annulé le 12 janvier 1810 par l’officialité métropolitaine de Paris pour cause de clandestinité et d’irrégularités. Après que le tsar ait répondu évasivement à la demande de la main de sa sœur, c’est Marie-Louise, fille de François Ier d’Autriche, qui est choisie. Le 11 mars, le mariage par procuration est célébré à Vienne : le maréchal Berthier représente Napoléon. Le mariage est béni religieusement le 2 avril au Louvre. Le Roi de Rome naît aux Tuileries le 20 mars 1811.

Perte des colonies et blocus continental
Durant ce temps, l’Angleterre s’empare tranquillement des colonies néerlandaises (Surinam, Le Cap, Curaçao, Java) et françaises (Guyane, Martinique, l’Île de France). Albion souffre néanmoins du blocus qui entrave le commerce ; d’autre part, les subventions aux alliés continentaux coûtent cher ! La Colombie, avec Bolivar, se soulève le 19 avril 1810 contre l’Espagne de Joseph Bonaparte et s’ouvre au commerce anglais. Ce même blocus fait aussi des ravages sur le continent et la contrebande est active, malgré la sévérité des peines encourues. Le 31 décembre 1810, excédé, le tsar surtaxe les produits français et ouvre ses ports aux neutres.

Mégalomanie napoléonienne
Quant à l’Empire français, il devient monstrueux et s’étend de l’Elbe au Nord et de la Drave à l’Est jusqu’à l’Èbre au Sud. C’est l’Empire des 130 départements, y compris les deux que Napoléon a taillés dans les anciens États du Pape, qu’il a fait arrêter au Quirinal par le général de gendarmerie Radet dans la nuit du 5 au 6 juillet 1809 et interner à Savone.
Après un voyage en Belgique où l’empereur a appris les négociations secrètes de Fouché avec l’Angleterre, il l’invective en plein Conseil le 8 juin 1810 et le remplace par Savary.

Les prémices de la guerre
Le 21 août 1810, la Suède choisit le maréchal Bernadotte comme héritier du trône. Bernadotte quitte la France et ne mènera plus désormais qu’une politique au service exclusif des intérêts suédois. Le 11 janvier 1811, le rattachement du duché d’Oldenburg, dont le duc se réfugie auprès du tsar, fournit à Alexandre (c’est son père, Paul Ier, qui avait confié ce duché à son cousin) le casus belli qu’il recherche contre la France.
De son côté, Napoléon se prépare à entrer en guerre contre la Russie. L’Autriche et la Prusse sont contraintes de lui fournir des contingents, mais font savoir au tsar que ces troupes feront le moins de mal possible et qu’ils sont toujours alliés. De son côté, Bernadotte, furieux que Napoléon ait envahi la Poméranie suédoise, signe le 5 avril 1812 un traité d’alliance avec Alexandre 1er où il lui reconnaît la possession de la Finlande moyennant la promesse de la Norvège. Il donne en outre des conseils au tsar sur la meilleure façon de harceler les troupes françaises dont il connaît bien les caractéristiques et les réactions. Durant ce temps, la gigantesque Grande Armée (où les vrais Français sont d’ailleurs largement minoritaires) s’organise pendant que les meilleurs éléments expérimentés des troupes napoléoniennes fondent peu à peu sous le ciel espagnol….Du 17 au 28 mai 1812, Napoléon réunit à Dresde, capitale de la Saxe, les princes de la Confédération du Rhin.

La désastreuse campagne de Russie
Le 25 juin 1812, Napoléon franchit le Niémen avec son armée. Les Russes se retirent sans combattre, appliquant avec efficacité la tactique de la terre brûlée. Ce n’est que devant Smolensk que des combats acharnés se déroulent, avant que Barclay de Tolly n’évacue la ville après l’avoir incendiée. Arrivé à Viazma le 28 août, Napoléon a déjà perdu la moitié de ses effectifs, tandis que Koutouzov nommé au commandement de l’armée russe prépare le champ de bataille de Borodino. Le 7 septembre se livre la sanglante bataille de la Moskova, que les Russes appellent de Borodino.
Napoléon rentre dans Moscou, quasi déserte et en flammes, le 14 septembre. Il doit l’abandonner le 19 octobre. Et c’est l’atroce retraite de Russie où les cosaques obligent Napoléon à suivre à rebours la route qu’il a prise à l’aller, et où il ne reste plus un brin d’herbe à cueillir. La neige tombe dès le 6 novembre : il fait - 20° dans la journée, - 30° la nuit. Du 25 au 29 novembre a lieu le passage de la Berezina.
Le 6 décembre, l’empereur quitte l’armée à Smogorny, transmettant le commandement à Murat, pour rejoindre Paris en treize jours et quatorze nuits d’une course folle. Il y arrive le 18 décembre, un quart d’heure avant minuit. Le 12 décembre, Murat se précipite à son tour vers son royaume de Naples, laissant le commandement d’une armée de spectres à Eugène de Beauharnais.

La fin de l’Empire
Déjà, dans la nuit du 22 au 23 octobre, le coup d’État du général Malet a bien failli réussir, prrécipitant le retour de l’empereur. Celui-ci a de quoi être préoccupé : personne n’a seulement songé qu’il avait un fils. Le préfet Frochot, qui sera simplement mis à pied, résumera bien la situation : Ce diable de Roi de Rome, on n’y pense jamais !
La campagne d’Allemagne, en 1813, se terminera par l’évacuation du territoire allemand par Napoléon, hormis des garnisons disséminées dans le pays et dont les effectifs font et feront de plus en plus crsuellement défaut.
La campagne de France de 1814 et la première campagne d’Italie en 1796 sont les deux plus belles de Napoléon, au cours desquelles, avec des effectifs réduits, il bat l’ennemi presque chaque fois qu’il est présent sur le champ de bataille. Mais il ne peut être partout et ses maréchaux sont fatigués.
Dans Paris qui a capitulé, les Alliés ne savent pas très bien quel gouvernement installer. C’est donc Talleyrand qui mène le jeu, ayant comme toujours choisi depuis longtemps son camp en fonction de ses intérêts personnels. Ayant constitué un gouvernement provisoire dont il est le chef, il fait proclamer le 2 avril par le Sénat la déchéance de Napoléon et de sa famille. Le lendemain, le Corps Législatif adhère à cet acte. Le 5 avril, le Sénat. - qui comporte une proportion non négligeable de régicides ! - appelle Louis Stanislas Xavier de France, frère du dernier Roi, au trône de France. Le même jour, Napoléon a signé son abdication à Fontainebleau. Le 12 avril, le comte d’Artois, nommé par son frère Lieutenant-Général du Royaume, fait son entrée à Paris.

La première pseudo-restauration

Le comte de Provence
Provence débarque à Calais le 24 avril 1814, après 23 ans d’absence, en compagnie de la duchesse d’Angoulême, pour faire son entrée à Paris le 3 mai. Il a pris depuis 1795 le titre usurpé de Louis XVIII. Né le 17 novembre 1755, il est dans sa cinquante-neuvième année. Il est énorme, podagre, perclus de rhumatismes ; il se déplace difficilement et ne peut plus monter à cheval.
En revanche, il est fin, intelligent, passablement retors et totalement dénué de scrupules. Par ce retour royal , il achève une longue quête d’un trône qu’il voulait occuper à n’importe quel prix.
Il ignore superbement les monarchistes de l’intérieur qui n’ont pas cessé de risquer leur vie et leurs biens pour lui. Il s’entoure pour l’essentiel du personnel que lui ont légué la révolution et l'Empire - les si bien nommés girouettes dont le type le plus achevé est Talleyrand, qui auront ainsi servi tous les régimes - et de quelques émigrés rentrés avec lui.

Le gouvernement
Le 2 mai, à Saint-Ouen, Provence octroie une charte à ses sujets, à la place de la proposition de constitution qu’il a refusée. Ce texte est la continuation des errements démocratiques lancés par la révolution : même si le suffrage est censitaire (et le nombre d’électeurs très limité !). Le principe du système pervers de la démocratie représentative est ainsi perpétué. La charte promet aussi que personne ne sera inquiété pour ses opinions, garantit la liberté individuelle, la liberté de la presse et la liberté de culte, et déclare la vente des biens nationaux irrévocable.
Le 12 mai, une ordonnance royale licencie la moitié des effectifs de l’armée et met de nombreux cadres militaires en demi-solde.
Les corps organisés (clergé, ancienne noblesse, financiers, commerçants, professions libérales, fonctionnaires) se sont ralliés sans difficulté à la restauration. Le peuple est en revanche peu enthousiaste dans l’ensemble, mais apprécie le retour de la paix. Le Midi (Provence, Languedoc) est en majorité royaliste. Le reste du pays est indifférent, voire hostile dans l’Est.

Un trône au rabais
En réalité, le traité de Paris signé avec les Alliés stipule que, puisqu’il était souhaitable que la France ait un Roi, le trône était confié à Provence, mais que pendant deux ans, tout en exerçant les prérogatives royales, il ne serait officiellement que régent, en attendant de savoir ce qu’il était réellement advenu du fils de Louis XVI. Il ne s’agissait là bien sûr que d’une clause de style, toutes les Cours d’Europe sachant parfaitement où et dans quelles conditions vivait Louis XVII. Mais les puissances alliées ne tenaient surtout pas à voir se réinstaller en France la monarchie légitime qui en avait fait avant 1789 l’arbitre de l’Europe. Elles voulaient bien de Louis XVII mais pas sur le trône de ses ancêtres, simplement comme épée de Damoclés au dessus de la tête de l’usurpateur. Provence sera tenu en laisse, sous la menace constante de produire l’héritier légitime.
Ainsi se trouvait bouclé le premier cycle de démolition de la France mis en train par la révolution. L’alliance anglaise, prônée par Talleyrand qui y trouvait sûrement son avantage personnel, allait dès lors faire de notre pays la réserve de supplétifs des Anglo-Saxons, avec pour résultat l’avilissement programmé de la France tel qu'on le constate de nos jours.Provence n’y regardait pas de si près : il était enfin effectivement sur le trône, et à Paris même !
Provence et la duchesse d’Angoulême refusent les prétendues reliques (cheveux, cœur dit de Pelletan du malheureux jeune Roi qui leur sont offertes. Alors que des messes sont dites pour le repos de l’âme de Louis XVI, de Marie-Antoinette et de Madame Élisabeth, aucune ne l’est en souvenir de Louis XVII.

La paix
Elle est signée le 30 mai 1814 avec l’Autriche, la Russie, la Grande-Bretagne et la Prusse. La France est ramenée aux frontières de 1792, plus quelques parcelles de territoire. Outre-mer, elle récupère la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, les comptoirs du Sénégal et l’île de Bourbon (aujourd’hui île de la Réunion).
Le 23 septembre, Talleyrand arrive à Vienne et prend part d’autorité au Congrès. Le 3 janvier 1815, le diable boîteux conclut un traité secret avec l’Autriche et la Grande-Bretagne.

Le mauvais coup des Cent-Jours
Le 1er mars 1815, Napoléon, qui a quitté l’île d’Elbe le 26 février, débarque à Golfe Juan. Par Digne et Grenoble, il gagne Lyon et prend la route de Paris. Le 19, Provence quitte les Tuileries où l’empereur arrive le 20 à la nuit tombée, ayant réuni autour de lui, au fur et à mesure de son avance, la quasi-totalité de l’armée.
Le 13 mars, les Alliés mettent Napoléon au ban de l’Europe.
Le 31 mars, Provence arrive à Gand. Le 2 avril, la duchesse d’Angoulême doit quitter Bordeaux où elle a tenté d’organiser la résistance, tandis que le duc d’Angoulême qui a réussi à monter une petite résistance militaire dans le Midi profondément monarchiste, doit à son tour quitter la France le 16. Tout l’Ouest royaliste entre en insurrection.
Désirant donner une teinte libérale à son régime, Napoléon charge Benjamin Constant de rédiger une nouvelle constitution, qui est promulguée le 22 avril sous le nom d’Acte additionnel aux constitutions de l’Empire.
La conscription est rétablie le 10 avril, mais il y a énormément de réfractaires, surtout dans le Midi et l’Ouest.
Le 9 juin, à Vienne, les plénipotentiaires signent l’acte final du Congrès. Le 15, les troupes françaises pénètrent en Belgique. Après un premier succès à Ligny, le 16 juin, l’armée impériale est définitivement vaincue à Waterloo le 18.
De retour à Paris, Napoléon s’installe à l’Élysée, avant de rallier la Malmaison, et signe le 23 juin son abdication en faveur de son fils : cet acte demeurera sans effet. Il cherche en vain à se faire confier la dictature, que Fouché lui fait refuser. Puis il part pour Rochefort dans l’espoir de pouvoir gagner l’Amérique. Il s’installe en définitive à l’île d’Aix qu’il quitte le matin du 15 juillet quand le brick l’Épervier le conduit à bord du vaisseau britannique le Bellerophon, lequel appareille pour Plymouth où l’empereur est transféré sur le Northumberland qui l’emmène à Sainte-Hélène, où il décédera le 5 mai 1821.

La seconde pseudo-restauration

La situation politique
À la nouvelle de la défaite de Waterloo, le Languedoc et la vallée du Rhône se sont soulevés, ainsi que Toulouse. C’est le déclenchement de la Terreur Blanche. Provence fait publier, de mauvaise grâce, une déclaration apaisante, accordant l’amnistie, mais rétablissant le drapeau blanc, et constitue son gouvernement présidé par Talleyrand, qu’il déteste, avec Fouché, qu’il n’aime pas davantage, au Ministère de la police. Les préfets, sous-préfets et maires (alors nommés) sont l'objet d’une épuration modérée. La Chambre est dissoute et de nombreux pairs révoqués. Les fonctionnaires nommés après le 20 juin sont révoqués. Toutes les promotions accordées pendant les Cent-Jours sont cassées. Une liste de proscription est établie.
Les élections ont pour résultat la formation d’une Chambre composée pour l’essentiel de monarchistes intransigeants, les ultras : c’est la Chambre introuvable.
En fait, la vie politique de la pseudo-restauration, sans idéal, sans dessein clairement défini, ne sera que le début de la grisaille qui nous environne depuis deux siècles.

Les conséquences de la défaite
Le 3 juillet, un armistice a été signé sur le plan militaire : les troupes françaises doivent se retirer au Sud de la Loire, tandis que les Prussiens et les Anglais occupent Paris, les Autrichiens l’Est, les Russes le Rhin et les Espagnols la frontière des Pyrénées.
Le traité de paix fait perdre au royaume tout ce qu’il avait gardé l’année précédente de nos conquêtes. Il prévoit une indemnité de 800 millions et l’occupation du territoire national durant sept années. Celle-ci sera en fait abrégée de moitié, s’achèvant le 30 novembre 1818.

Lassassinat du duc de Berry
Le 13 février 1820 au soir, devant la petite entrée de l’Opéra, le duc raccompagne son épouse, fatiguée (elle est juste enceinte de son second enfant), jusqu’à sa voiture. Un individu, Louvel, ouvrier sellier aux écuries de Provence (après l’avoir été à celles de Napoléon), surgit alors et plante avec violence une alène de cordonnier dans le flanc droit du duc qui agonise sept heures durant avant de rendre l’âme.
Cet enfant sera Henri, né le 29 septembre 1820, l’enfant du miracle, duc de Bordeaux, plus tard comte de Chambord, que certains appelleront Henri V, de fait.
Chateaubriand analysera très justement, sinon les motifs directs, du moins les raisons profondes de cet attentat, en écrivant : Ceux qui ont assassiné Mgr le duc de Berry sont ceux qui, depuis quatre ans, établissent dans la monarchie des lois démocratiques…

Louis XVII à Berlin et Spandau

Installation
Naundorf - puisque tel est le nom que lui ont imposé les services spéciaux prussiens - arrive dans la capitale de la Prusse en novembre 1809. Il commence à gagner sa vie en qualité de colporteur d'horloges en bois. Mais le magistrat de la ville de Berlin l'invite instamment à régulariser sa situation.
Ne pouvant montrer le passeport qui lui a été remis par l'étranger de la voiture de poste - et que la police a gardé à son entrée à Berlin - certes authentique dans sa forme, mais comportant un faux signalement, il s’adresse alors à Monsieur Le Coq.

Paul Ludwig Le Coq
Comme son nom l’indique, c’est un descendant de huguenots français. Il était alors diplomate, conseiller intime de légation et conseiller rapporteur au ministère des Affaires Etrangères de Prusse, et avait notamment dans ses attributions le contrôle des passeports des étrangers. Il portait le titre très respecté dans la hiérarchie prussienne de Staatsrat (conseiller d’État). Il entrait donc tout naturellement dans ses attributions de s’occuper du cas de cet étranger : en effet Naundorf, censé être né à Weimar, n’était pas - selon son passeport - sujet prussien, mais ressortissant du duché de Saxe-Weimar-Eisenach.
Puisqu’il est certain que l’échelon supérieur de l’Etat prussien s’est occupé de façon “inexplicable” du sort du pauvre exilé et qu’il a eu entre les mains les documents établissant l’identité réelle de Naundorf, c’est sans aucun doute Fouché qui les aura fait parvenir discrètement à le Coq qui les aura lui-même transmis au prince Hardenberg, chef du gouvernement. Ce dernier en a fait part à Frédéric-Guillaume III, roi de Prusse.

Le président de la police de Berlin
C’était alors un rouage relativement récent de l’administration prussienne.
Le premier titulaire fut Karl Justus von Gruner, sujet hanovrien, né le 28 février 1777 à Osnabrück. Entré en 1802 au service de la Prusse, il fut nommé dès 1805 directeur des services de la guerre et des domaines à Posen (aujourd’hui Poznan), en Pologne prussienne, puis en mars 1809 président de la police de Berlin, poste dans lequel la principale tâche qui lui fut confiée par le gouvernement prussien fut de reconstituer et d’exploiter les services de renseignements. C’est à Prague, où il avait accompagné le ministre prussien Stein pour des conversations avec les envoyés du tsar, que les Autrichiens l’arrêtèrent sans préavis le 22 août 1812 : la raison en était que ses activités souterraines avaient été découvertes par les Français et qu’il fallait le mettre à l’abri.
Gruner avait été remplacé à la présidence de la police de Berlin, pour mener à bien sa mission à Prague, le 12 février 1811 par le conseiller von Schlechtendahl.
Paul Ludwig Le Coq ne sera nommé président de la police de Berlin que le 24 avril 1812. Sa lettre de nomination lui enjoint de prendre ce poste toutes affaires cessantes : il y avait visiblement urgence ! Son attitude vis-à-vis de Louis XVII fut conforme à l'attente du roi et du gouvernement puisqu'il terminera sa carrière, à son décès, en 1820, comme ministre de l'Intérieur de Prusse.

Le droit de bourgeoisie Dans le courant de l'année 1812, Le Coq conseille à Naundorf de quitter Berlin et d'aller s'établir dans une petite ville proche, Spandau, qui fait aujourd'hui partie de la banlieue de la capitale. En effet, la guerre repart avec la Russie et les troupes françaises vont réoccuper Berlin jusqu'en 1813.
Naundorf désire s'établir horloger à son compte. Or le titre III de l'ordonnance prussienne en date du 19 novembre 1808 exige que toute personne désirant travailler à son compte obtienne la bourgeoisie de la ville où elle établit son activité.
La seule exigeance était d'être de bonne vie et mœurs (article 17). Ceux qui ne résidaient pas auparavant dans la ville devaient simplement fournir un certificat de bonne vie et moeurs délivré par le bourgmestre de la localité qu'ils avaient habitée auparavant. Mais ce droit de bourgeoisie doit être refusé à ceux qui ont été condamnés par les tribunaux (article 21). Quant à l’article 24, il stipule que le droit de bourgeoisie doit être accordé à tous les bourgeois sans distinction qu'ils soient allemands, notamment, du Palatinat, français ou d'une autre nation.

Le certificat de bonne vie et moeurs de Naundorf destiné au bourgmestre de Spandau fut rédigé par Le Coq, récemment nommé président de la police de Berlin. Ce n'est certes pas le respect à la lettre du texte de l'ordonnance, mais c'est le respect de l'esprit du document : le président de la police connaissait certainement mieux que le bourgmestre d'une grande cité comme Berlin, le personnage, apparemment obscur, auquel il avait accordé sa protection.

Non restitution des pièces
En 1813, Naundorf demandera par écrit au prince de Hardenberg et au conseiller Le Coq la restitution des pièces qu'il leur avait confiées. Il n'obtiendra jamais de réponse.
Cette attitude des plus hautes autorités prussiennes peut sembler choquante. Mais, sur le plan purement formel, elles pouvaient arguer du fait que Naundorf ne leur avait personnellement remis aucune pièce puisque celles-ci leur avaient été fournies directement par les services français sous l'autorité de Fouché !
On peut contester le procédé. Il avait l’avantage cynique de priver Naundorf des documents établissant son ascendance.

Essais de contact avec sa famille
En 1816, après la chute de l'Empire, Louis XVII écrit à la duchesse d'Angoulême. Il lui écrira encore plusieurs lettres, qui demeureront toutes sans réponse.
En 1818, il écrit au duc de Berry qui, lui, diligentera une enquête par un de ses aides de camp de toute confiance, le comte Le Gardeur de Repentigny, qui lui fera un rapport totalement positif : ce Naundorf est bien le cousin du duc.
Provence aussi demandera, dans le même temps, à Talleyrand de faire effectuer une enquête semblable qui aboutira au même résultat.

Nous avons des témoignages des scènes violentes qui se sont déroulées au sein de la famille royale à la suite de ces divers contacts. Mais Provence, et avec lui Artois, refuseront toujours de reconnaître Louis XVII !
On a souvent soutenu que l'assassinat du duc de Berry par Louvel, le 13 février 1820, dont on rendit Decazes responsable, était lié directement à la volonté exprimée par ce prince de reconnaître son cousin et de l'aider à accéder au trône qui lui revenait de droit. Cette relation de cause à effet n'a jamais été prouvée mais, quand on connaît Provence, il faut bien avouer qu'elle n'a rien d'impossible. Chateaubriand, le divin vicomte, eut au sujet de ce régicide ce mot terrible touchant Decazes : Le pied lui a glissé dans le sang.

Mariage
Le 19 novembre 1818, il épouse Johanna Fridericke Einert, de quinze ans et demi, native de Havelberg. C'est une jeune fille de petite noblesse dont la famille est ruinée.
Ils formeront un couple très uni et auront neuf enfants dont cinq garçons. Les princes de Bourbon actuels descendent des troisième et quatrième fils du couple. Johanna Fridericke sera toute sa vie pour son époux, un soutien efficace et constant, alors que rien, apparemment, ne la prédestinait à ce rôle.

Conformément à la loi prussienne de l'époque, le mariage est célébré par le pasteur luthérien. La cérémonie a lieu au domicile de l'époux. De fait, la famille Einert, originaire du Brandebourg, était luthérienne. Les premiers enfants seront baptisés dans cette confession et Johanna ne se convertira au catholicisme que durant son séjour à Dresde, en 1834, entraînant ses enfants avec elle.

ICONOGRAPHIE :

Louis XVIII de Georges Bordenove et Histoire de la France et des Français au jour le jour de A. Castelot et A. Decaux.

Les portraits de Louis XVII et de son épouse Jeanne Frédérique Einert proviennent d'une lithographie de Weber d'après les peintures de Sabatier, 1834.