ATTENTATS EN ANGLETERRE

Séjour en Angleterre

Expulsé de France vers l'Angleterre en juillet 1836, Louis décide de s'y installer. Les autorités locales ne lui créent aucune difficulté. Monsieur Brémond, qui avait reçu de Louis XVI une somme importante à remettre à son fils le moment venu, l'avait fait fructifier durant toutes ces années et s'était acquitté de sa dette. Débarrassé du souci de poursuites continuelles, il pouvait dès lors songer à mener une vie normale, sans perdre de vue le destin auquel l'appelait sa naissance.

Son premier geste fut de faire enfin venir autour de lui les siens, abrités en Suisse par Monsieur Brémond après avoir dû quitter la Saxe. Outre son épouse, sa famille se composait de six enfants : Jeanne Marie Amélie, née le 31 août 1819 à Spandau, Charles Édouard, né le 23 juillet 1821 à Spandau, Marie Antoinette, née le 13 mars 1829 à Crossen, Louis Charles, né le 11 mars 1831 à Crossen, Charles Edmond, né le 3 avril 1833 à Crossen, Augusta Marie Thérèse, née le 16 mai 1835 à Dresde. La petite Berthe Juliana, née le 3 novembre 1823 à Brandebourg est décédée dans cette même ville dix-sept mois plus tard jour pour jour.
Elle va encore s'augmenter de deux fils, nés tous deux sur sol anglais : Adelbert, né le 26 avril 1840, et Ange Emmanuel, né le 14 mars 1843. La descendance directe du prince comporte donc cinq garçons et trois filles qui parviendront à l'âge adulte.
De ses cinq fils, deux seulement engendreront une descendance masculine : Charles Edmond, le troisième fils, origine de la branche dite française, aujourd'hui représentée par le prince Charles Edmond, deuxième du nom, et son fils Hugues, et Adelberth, le quatrième fils, origine de la branche dite néerlandaise, devenue aujourd'hui canadienne, représentée par le prince Charles Louis, son frère cadet Henri, et leurs enfants.

Louis a établi sa résidence 21, Clarence Place, à Camberwell, ville du comté de Surrey, à trois miles au Sud de Londres, dont elle était un des faubourgs.

Une activité fructueuse

Louis avait toujours été passionné par le sujet militaire. Tout jeune prince encore, il aimait faire tirer un petit canon. Il se consacre désormais à des recherches pyrotechniques et monte dans le jardin de sa propriété un laboratoire-atelier où il met au point ses inventions. Il effectue aussi des expériences pour améliorer les armes à feu et divers types de projectiles et de mines.
Des expériences publiques furent organisées à Woolwich et eurent un large écho dans la presse. Woolwich était une localité du comté de Kent, sur les bords de la Tamise, à l'Est de Londres : outre une fonderie de canons et un important arsenal, on y trouvait une école d'artillerie et du génie.
Grâce aux rapports ultérieurs dressés pour le gouvernement néerlandais à la suite des essais menés aux Pays-Bas, nous savons que le prince avait mis au point de très importantes inventions appliquées à des projectiles, des mines, des fusées, à l'amélioration des armes à feu (armes sans recul) et autres.

Prétendre dès lors que Naundorf était un personnage au psychisme perturbé ne résiste pas à l'examen. C'est un homme en pleine possession de ses moyens intellectuels et pourvu de vastes et solides connaissances dans un domaine à la fois scientifique et technique. D'autant que nous savons que ses travaux avaient de la valeur.
Il est évident que mettre au point des inventions aussi importantes et minutieuses requiert beaucoup de temps. Il va donc de soi que le prince possédait déjà avant son arrivée en Angleterre les connaissances théoriques et pratiques indispensables à cet effet.
Or nous connaissons son existence en Prusse depuis fin 1809 : le loisir d'acquérir de telles connaissances lui était alors refusé.
Il les possédait donc antérieurement. Voilà qui prouve bien qu'il n'a jamais subi les sévices que trop de monde se complaît à décrire. Il est exact que l'enfant du Temple qui lui a été substitué à été traité, lui qui n'était encore qu'un enfant, d'une manière innommable par les monstres qui le gardaient et ceux qui décidaient de son sort. Mais Louis XVII, en réalité, a eu le temps et le loisir de faire ses humanités et d'acquérir encore par la suite des connaissances très poussées - de niveau universitaire - dans les domaines de la physique et de la chimie, qui étaient encore très nouveaux à l'époque. N'oublions pas qu'en plus il a fait un apprentissage complet d'horloger, qui lui a permis de fonder une famille nombreuse et de subvenir à ses besoins.
On comprend dès lors que, dans ces récits, il ait camouflé le calme - relatif peut-être néanmoins - de cette vie de jeunesse. En effet, né le 27 mars 1785, il se trouvait du fait de la conscription de la classe 1805 dont les conscrits - ceux d'Austerlitz - firent ensuite toutes les campagnes napoléoniennes. À côté de cette épopée qui échauffe encore de nos jours bien des esprits, la vie qu'il a menée ne pouvait que sembler d'une insupportable fadeur.

Une étrange religion

Naundorf s'était fait instruire dans la religion catholique par l'abbé Appert durant son séjour à Paris, à partir de 1833. Il avait donc alors 48 ans. Son épouse et ses enfants, tous nés protestants (luthériens), s'étaient convertis au catholicisme lors de leur séjour à Dresde, en Saxe..
Or, en Angleterre, il essaye de lancer un mouvement religieux qui paraît, il faut le reconnaître, assez confus et bizarre. Il se lance dans des calculs fumeux et publie sa doctrine sous le titre de Doctrine céleste. Il prétendait avoir des visions. Tout ce fatras fut condamné par un bref du pape Grégoire XVI. Ce fut bien évidemment un échec qui détourna de lui, momentanément, certains de ses fidèles.

Remarquons d'abord que sa formation religieuse avait été fort négligée, pour ne pas dire presque inexistante. Jusqu'au 3 juillet 1793 certes, sa famille y avait veillé. Mais il est fort peu probable qu'elle ait été poursuivie après cette date ! Et il était alors encore bien jeune. La faction qui l'a hébergé et protégé des années durant devait plutôt pencher vers l'anti-religion voltairienne, voire vers l'athéisme franc-maçon !

Remarquons ensuite que le problème religieux ne semble pas avoir troublé le fond de sa personnalité. Chaque être humain se sent plus ou moins attiré par les problèmes religieux suivant sa nature propre. Si, en Prusse, il s'est déclaré catholique, il ne faut pas y voir un attachement très profond pour la religion romaine. En effet, il attendra son second séjour en France pour recevoir un enseignement à ce sujet, preuve qu'il n'en avait pas reçu auparavant, sans que cela le gêne beaucoup pour avoir tant tardé à s'en préoccuper. Il faut en conclure que, de son point de vue, la question religieuse revêtait un aspect essentiellement politique. C'est seulement en réfléchissant à l'échec de son passage chez les hobereaux bretons en 1832 qu'il a jugé nécessaire d'acquérir une formation dans un domaine auquel certains attachaient tant d' importance.

Ceci nous amène à une troisième remarque, et peut-être majeure. Louis était intelligent et fin. Il avait une excellente mémoire. Il connaissait l'histoire de la révolution, et ce d'autant plus qu'on s'était empressé de lui commenter les événements. Il a sans le moindre doute voulu comprendre les raisons de ce cataclysme national responsable de la destruction de sa famille et, de là à éprouver une notable méfance envers la papauté et le clergé catholique en général, il n'y avait qu'un pas.
Mais il faut dire aussi que les lettres qu'il a écrites à sa famille, et singulièrement à sa fille aînée, Amélie, révèlent un sens du divin et une confiance en Dieu spontanée. Voilà qui confirme notre sentiment : Louis XVII n'était nullement antireligieux, mais se méfiait profondément du catholicisme après les circonstances tragiques qui avaient terrassé sa famille en même temps que les institutions du pays.

Deux événements très graves marquèrent le séjour de Louis et de sa famille en Grande-Bretagne et devaient avoir des conséquences graves..

Tentative d'assassinat

Le 16 novembre 1838, un certain Désiré Roussel, que le prince avait hébergé plusieurs jours chez lui car il se faisait passer pour indigent, tire sur lui deux coups de pistolet et le blesse grièvement. Le prince interviendra pour qu'il ne soit pas pendu, conclusion normale pour un individu convaincu d'assassinat ou de tentative d'assassinat par la justice britannique
Il va de soi que les adversaires de la survivance se sont évertués à insinuer qu'il s'agissait en l'occurrence d'un attentat bidon, comme ils l'avaient déjà prétendu pour l'attentat commis contre le prince place du Carrousel, à Paris, et sans plus de preuves. La justice anglaise peut être sévère, mais ne condamne pas sans preuves formelles.

Or, ce même Désiré Roussel avait assassiné trois ans auparavant, à Genève, le dénommé Frédéric Leschot dont certains font le compagnon de fugues à répétition d'un personnage présenté, sans preuves convaincantes, comme Louis XVII. Les deux garçons, du même âge, auraient, selon ces chercheurs, fait connaissance et se seraient liés d'amitié lors d'un passage de l'adolescent en question à Genève en 1797. La famille Leschot s'activait dans l'horlogerie et dans la confection d'automates dont certains avaient été présentés à Versailles, où le petit duc de Normandie avait certainement pu les admirer (rappelons néanmoins qu'il a quitté le palais à 4 ans !). Il est douteux dans ces conditions que la famille Leschot ait pu identifier Louis XVII (âgé alors de douze ans) dans l'adolescent en fuite qui s'est un jour arrêté chez eux en compagnie d'un homme âgé, déguisés l'un en meunier et l'autre en commis.
Ce Frédéric Leschot, réellement instable et fugueur, aurait servi de guide à Louis-Charles dans ses prétendues fugues ultérieures. Rappelons encore que Louis XVII est sorti du Temple en parfaite santé physique et psychique et qu'il n'était nullement fugueur. On ne peut pas davantage assimiler ce jeune genevois au Friedrich qui aida le prince selon le récit de Crossen et qui était, lui, prussien.
Lorsqu'on aura précisé que l'assassin Désiré Roussel vivait d'une pension que lui servaient les trois usurpateurs Provence, Artois et Orléans, jusqu'en 1848, on aura compris d'où venait le coup.
Nous nous bornerons à souligner que, lorsque nous nous sommes interrogés sur ce qu'aurait été l'attitude des princes au cas où Louis XVII évadé du Temple serait tombé entre leurs mains, nous avons conclu qu'ils l'auraient sans aucun doute fait disparaître. Nous en avons ici la confirmation !
Nous trouvons aussi dans cet incident la confirmation de ce que nous avons dit du caractère du prince : il est d'une bonté foncière, frisant même à l'occasion la naîveté.

Incendie du laboratoire

Le 21 mai 1841, un incendie, causé selon toute vraisemblance par la malveillance, ravagea son laboratoire et provoqua une explosion où Louis reçut de graves brûlures au visage et aux mains. Il fut réduit à la misère et ses créanciers le firent jeter à deux reprises en prison pour dettes (novembre 1841 et novembre 1843). Entre-temps, tout ce qu'il possédait avait été vendu.
Ses ennemis ne désarment pas et ne changent guère leurs méthodes : c'est le deuxième incendie criminel dont il est victime et il en sort ruiné.

Départ d'Angleterre

Il restait néanmoins à Naundorf l'essentiel : sa famille et ses inventions. La chance, ou peut-être une prémonition, voulut qu'il ait en tête la totalité des projets qu'il avait mis au point. La destruction de son laboratoire était une perte sérieuse, mais le résultat de ses travaux étaient à l'abri là d'où personne ne pourrait ni les ôter ni les dérober.
Il résolut donc de vendre le produit de ses inventions. Leur importance, les moyens à mettre en œuvre pour les exploiter à grande échelle et leur nature faisaient que seul un gouvernement pouvait s'en rendre acquéreur.
Les expériences réalisées à Woolwich avaient eu du succès, mais Louis ne voulait pas vendre ses secrets à l'Angleterre, ennemie traditionnelle de son pays. Il les proposa tout naturellement à la France où le maréchal Soult, qui devait cette dignité à Napoléon et était alors ministre de la guerre d'Orléans, rejeta ses offres avec dédain, déclarant que la France n'avait pas besoin des élucubrations de ce farfelu. La vraie raison de ce rejet semble résider dans le fait que le prince avait demandé l'autorisation de venir en France pour démontrer et organiser l'exploitation de ses découvertes mais le gouvernement français ne voulait à aucun prix de sa présence en France.

Il est coutumier de dire que Louis avait alors décidé de les vendre à la Suisse. L'idée semble aller de soi : pays neutre qui ne menace personne, ces inventions lui serviraient uniquement à faire respecter ses frontières.
Et pourtant, cette idée est fausse. Plusieurs faits le prouvent.
Seules des forces armées peuvent faire l'acquisition d'inventions de cette importance par décision gouvernementale, et donc en payer le prix élevé. Or, le prince arrive à Rotterdam en janvier 1845, à une époque où il n'existe pas d'État suisse. On pourrait appliquer alors à ce pays ce qu'on disait de l'Italie : c'est une expression géographique. Juridiquement, sur le plan du droit international public, la Suisse est alors une confédération, c'est-à-dire un groupement d'États souverains, qui portent le nom de Cantons. Le seul organe commun est la Diète, qui se réunit à Soleure, où se trouve aussi le siège des ambassades étrangères. Cette Diète ne peut prendre de décision qu'à l'unanimité, ou alors seuls sont engagés les Cantons qui l'ont votée. Chaque Canton est un État souverain sur le plan international, avec ses lois, sa monnaie, son armée, libre de conclure des accords directement avec les États étrangers. Il y a des douanes entre les Cantons.
Ce n'est qu'en 1848, après l'amère expérience de la guerre du Sonderbund (de fin juillet à fin novembre 1847), que les Cantons décidèrent la création d'un État fédéral, avec un gouvernement central, deux assemblées, une armée commune, une monnaie commune et une ville fédérale (Berne). La confusion peut naître du fait que, malgré cette transformation radicale de son statut juridique, la Suisse conserva ( aujourd'hui encore) son nom officiel de Confédération helvétique, ce qui peut néanmoins se comprendre puisque la Confédération ne dispose que des prérogatives régaliennes transférées par les Cantons. Il était donc impossible au prince, en 1845, d'envisager de vendre ses inventions à un État fédéral qui n'existait pas encore.

D'autre part, le passeport délivré au prince par le consul général des Pays-Bas à Londres spécifie clairement comme destination les Pays-Bas. S'il avait eu réellement l'intention de poursuivre son voyage jusqu'en Suisse, il l'aurait fait mentionner sans ambiguïté sur ce document. Ce qui n'est pas le cas.
Il est donc clair que le prince voulait se rendre aux Pays-Bas, et nulle part ailleurs.