ATTENTAT AU PALAIS-ROYAL

Agression

C’est au cours de son séjour à Paris que le prince faillit perdre la vie lors d’une embuscade que lui avaient tendue des inconnus.
Il est 20h00, le 28 janvier 1834. Louis achève de traverser la place du Carrousel en direction du Palais-Royal tout proche. Il regagne son domicile : il logeait alors chez Monsieur et Madame Émile Marco de Saint-Hilaire, rue de la Chaussée d’Antin.
Ce complexe de bâtiments a été construit de 1629 à 1643 par J.Lemercier pour Richelieu et porta donc tout d’abord le nom de Palais-Cardinal. Légué par le ministre à Louis XIII, il devint en 1643 la résidence d’Anne d’Autriche et du jeune Louis XIV, ce qui lui conféra le titre de Palais-Royal. Le Roi le donna à son neveu Philippe d’Orléans, le futur Régent. Ces bâtiments abritèrent dès lors une foule de boutiques, de cafés et d’établissements de jeux. Louis-Philippe d’Orléans, le futur régicide Philippe Égalité, haut dignitaire maçon, en fit un centre de propagande révolutionnaire et en interdit l’entrée à la police. Il abrite aujourd’hui le Conseil d’État, la Cour des Comptes et le Conseil constitutionnel, sans oublier la Comédie Française.

Il est brusquement assailli par des individus qui, sans prononcer un mot, lui portent rapidement six coups de poignard. L’un d’eux l’atteint dans la région du cœur. Un autre est arrêté par l’une des médailles, à l’effigie du Christ, qu’il porte à son chapelet : sous la violence de ce coup, le petit disque d’argent, pourtant assez épais, demeure profondément plié. Le prince se défend de son mieux mais, affaibli par la perte de sang, il aurait succombé si ses agresseurs n’avaient été mis en fuite par l’arrivée providentielle d’un cabriolet.
Ses vêtements tout déchirés, Louis arrive avec peine à regagner son logis où ses amis s’empressent de lui prodiguer les premiers soins. Un chirurgien de confiance arrive enfin et le panse avec méthode. l’homme de l’art déclare qu’il s’en est fallu d’une demi-ligne (la ligne est la douzième partie d’un pouce qui correspond lui-même à 24 mm environ) pour que le cœur ne soit atteint, ce qui aurait entraîné une mort instantanée.

Cet incident nous est conté dans une lettre, en date du 7 février 1834, adressée par le vicomte Sostène de Larochefoucauld à la duchesse d’Angoulême. Ce représentant de la vieille noblesse avait été chargé par la duchesse d’étudier le personnage de Naundorf - ce prussien qu’elle refusait obstinément de recevoir, mais qui l’inquiétait tant. Le vicomte assure avoir vu la plaie. Il avait d’ailleurs maintes fois visité le prince, qu’il n’appelait que Monseigneur et avait reconnu être très impressionné par sa personnalité.

On accusera bien sûr Naundorf de s’être blessé lui-même, sans doute pour attirer sur lui l’attention du public. Mais les détails fournis par le récit du vicomte de Larochefoucauld sont incompatibles avec cette hypothèse, qui est infirmée aussi par les déclarations du médecin traitant : un homme qui aurait voulu simuler un faux attentat ne se serait certes pas frappé dans la région du cœur !
Qui plus est, lors de l’examen post mortem, le 12 août 1845, à Delft, aux Pays-Bas, les médecins trouvèrent une cicatrice d’une longueur d’un pouce néerlandais (24 mm environ) à la partie postérieure de l’épaule gauche.
D’autre part, lors de l’exhumation des restes de Naundorf réalisée le 27 septembre 1950, le docteur Hulst se livra à un examen minutieux du squelette du défunt. Il constata que l’omoplate gauche avait été légèrement endommagée. Il écrit à ce sujet dans son rapport : Le chevalet de l’omoplate, la «spina scapulæ», n’était pas intact. Une partie du chevalet manquait. La surface mitoyenne formait une ligne couplée d’arêtes pointues, ce qui fait supposer qu’une partie en a été découpée ou abattue au moyen d’un objet tranchant. Il conclut qu’il est impossible que cette lésion ait pu être faite par la personne même.

Louis XVII installe sa famille à Dresde

Ayant dû quitter la Prusse sous la menace d’une nouvelle arrestation qui aurait été suivie d’un nouveau séjour en prison - menace réelle ou qu’on lui avait fait supposer -, le prince souhaite, dès qu’il en a la possibilité, que sa famille se mette aussi à l’abri de nouvelles tracasseries éventuelles de la part du gouvernement prussien.
Il donne donc instruction à son épouse de s’installer dans le royaume de Saxe, à Dresde, où il a bon espoir qu’elle sera bien accueillie.

Louis XVII est en effet un proche parent de la maison royale de Saxe : sa grand-mère paternelle, épouse du Dauphin Louis, fils de Louis XV, était Marie-Josèphe de Saxe, fille d’Auguste III, électeur de Saxe et roi de Pologne.
Son petit-fils lui succéda en 1763 et devint roi de Saxe en 1806, après Iéna, sous le nom de Frédéric-Auguste I. Ce dernier demeura jusqu’à la bataille de Leipzig, en 1813, un allié indéfectible de Napoléon, ce qui lui coûta lors du Congrès de Vienne la perte d’un bonne partie de son royaume, annexée par la Prusse (qui avait demandé à l’annexer en entier).
En 1827, la courone passa à son frère Antoine et, en 1836, à son petit-neveu Frédéric-Auguste II, lequel était donc le cousin issu de germain de Louis XVII.

Johanna Fridericke s’installa à Dresde avec ses enfants en avril 1834.
Des trois enfants nés à Brandebourg subsistaient les deux aînés, Amélie, née le 31 août 1819, et Charles-Édouard, né le 23 juillet 1821. La petite Berthe-Julie, née le 3 novembre 1823, était en effet décédée le 3 avril 1825.
Trois enfants étaient nés à Crossen : Marie-Antoinette, née le 13 mars 1829, Louis-Charles, né le 11 mars 1831, et Charles-Edmond, né le 3 avril 1833.
Une fille, Marie-Thérèse, naît à Dresde le 16 mai 1835, suite au séjour que le prince avait fait à Dresde au mois d’août de l’année précédente..

La famille est en rapport avec la Cour de Dresde qui la protège. En octobre 1836, le roi Frédéric-Auguste II fait entrer l’aîné des fils, Charles-Édouard, à l’École Royale de Cadets de Dresde, réservée aux jeunes nobles ; on confie bientôt au jeune adolescent le commandement d’un groupe de cadets.
C’est au palais royal de Dresde, dans la chapelle privée du roi de Saxe, que Johanna Fridericke Einert, épouse de Louis XVII sous le nom de Naundorf, abjura le protestantisme et fut reçue au sein de l’Église catholique avec ses deux aînés, Amélie et Charles-Édouard.
Durant ce temps, les intrigues allaient bon train pour faire expulser de Dresde la famille du prince. Tant les Bourbons en exil, qui résidaient alors au Hradschin, à Prague, en Bohême, que l’ambassadeur d’Orléans dans la capitale saxonne, faisaient pression sur la Cour royale. Il fallut l’intervention de la Prusse, son trop puissant voisin, pour que le gouvernement saxon prenne, le 23 août 1837, la décision d’expulsion. Mais il s’empresse de donner à la famille un délai allant jusqu’en mars 1838.

Madame de Rambaud se rend à Prague

Femme de chambre ordinaire du petit duc de Normandie dès sa naissance, Madame de Rambaud n’a jamais quitté son petit prince jusqu’au 10 août 1792. Elle lui a donné des soins quotidiens et l’a vu sous tous ses aspects, y compris tout nu. Avec Madame de Saint-Brice, qui occupait le même office auprès de l’enfant, et qui reconnut elle aussi formellement Louis XVII en Naundorf, elle est la personne qui l’a le mieux connu.

Le 17 août 1833, elle écrivit à la duchesse d’Angoulême :

À Son Altesse Royale
Madame,
Celle qui aurait donné sa vie pour vos illustres parents prend aujourd’hui, par devoir de conscience, la respectueuse liberté de vous écrire pour vous assurer de l’existence de votre auguste frère. Mes yeux l’ont vu, reconnu ; des heures passées avec lui m’en ont donné la plus entière conviction. Une si précieuse conservation vient de la toute-puissance de Dieu : c’est à genoux que je lui en rends grâce, en me disant sans cesse que, s’il a bien voulu le conserver par sa volonté même, c’est pour en faire un être de pacification générale et de bonheur pour tous. Cette conviction, comme l’espérance, vient de lui seul.
Ses longs malheurs, sa résignation aux volontés de la Providence et sa bonté sont au-delà de tout.
Celle de votre Altesse Royale ne m’est pas moins nécessaire pour m’assurer que je n’ai point trop osé, en exprimant ce que mon cœur sent si bien pour ses souverains si légitimement aimés de tous ceux qui ont conservé un cœur fidèle.
C’est avec respect que je suis, de votre Altesse Royale, la très humble et très obéissante servante.
Mottet Vve de Rambaud
P.S. - Madame sait que j’ai eu l’honneur d’être attachée au berceau de son auguste frère, depuis le jour de sa naissance jusqu’au 10 août 1792.
17 août 1833.

Cette lettre est bien parvenue à sa destinataire puisque la duchesse répondait le 12 décembre 1833 à Madame de Rambaud en ces termes :

J’ai trop la certitude de la mort de mon frère pour pouvoir le reconnaître encore dans celui qui se présente. Les preuves qu’il m’en donne ne sont pas assez claires. Je n’ai aucun souvenir des faits qu’il me rappelle ; donc je ne puis accepter l’entrevue qu’il me propose. Je ne me laisse pas effrayer par les menaces qu’il ose prononcer. Qu’il donne des preuves plus positives s’il les a.


La duchesse d’Angoulême a dit tout et son contraire au sujet de son frère. Comme toute la famille royale, elle veut ignorer ce qui a été son sort. À ce titre, ces quelques lignes manuscrites qu’elle adresse le 12 décembre 1833 à Madame de Rambaud méritent quelques remarques !

  • On y retrouve la perpétuelle ambiguïté qui règne dans ses propos sur Louis XVII : elle est sûre que son frère est mort…. mais que Naundorf lui fournisse des preuves qu’elle jugerait, le cas échéant, plus convaincantes…
  • Le terme encore sonne étrangement. Certes la duchesse avait déjà eu connaissance de nombreux faux Dauphins…Mais, de notoriété publique, elle n’en avait reconnu aucun. Que vient alors faire ce mot dans le texte ? Ou alors, aurait-elle effectivement identifié le petit Roi dans l’un d’eux ? Si oui, pourquoi n’en rien dire ?
  • Elle s’abrite comme d’habitude, sans le dire expressément, sous son titre de Dauphine (qui ne correspond en réalité à rien : son mari Angoulême avait abdiqué et son beau-père Artois n’était qu’un usurpateur) pour ne pas recevoir Naundorf. Même une simple entrevue accordée officialiserait le prussien, ainsi qu’elle l’appelle. Mais ne pouvait-elle le rencontrer officieusement ? Dieu sait que les diplomates de tous les temps ont su faire jouer cette possibilité de discrétion !
  • Mais elle affirme qu’elle n’a aucun souvenir des faits qu’il lui rappelle. Cette fois aussi, l’aveu est de taille ! Comment la fille de Louis XVI, qui a vécu dans l’intimité du jeune Roi à tout le moins jusqu’au 3 juillet 1793, peut-elle ignorer des faits qu’ils ont vécus en commun à Versailles et - surtout ! - aux Tuileries, lors de l’équipée de Varennes et au Temple ? Dans ce cas encore, de deux choses l’une : ou bien, comme nous l’avons constaté plus haut, elle ment délibérément pour écarter à tout prix Louis XVII, ou bien elle ignore réellement les faits en question, ce qui ne peut être que si elle n’est pas Madame Royale !

Il est à propos de préciser ici que tous les faits prouvent que la personne qui a vécu sous le nom de duchesse d’Angoulême n’était pas la fille de Louis XVI. Sa démarche hommasse, les pieds en dedans (alors que Mousseline était si légère), sa voix rauque et son ton agressif (Marie-Thérèse était quelquefois un peu altière, mais toujours gracieuse), son caractère acariâtre, vindicatif, son manque de charité (alors que la princesse était généreuse), son écriture foncièrement différente de celle de la fille du Roi, son ignorance totale de la musique, du chant et du clavecin (arts que la princesse maniait avec aisance), son horreur des animaux (que Madame Royale adorait, tout comme son frère), écartent toute identification de la duchesse d’Angoulême à la fille de Louis XVI : il n’y a pas, il ne peut pas y avoir identité de personne entre Madame Royale et la duchesse d’Angoulême.

Mais les rapports (si l’on peut dire !) de la duchesse d’Angoulême avec Madame de Rambaud ne vont pas se limiter à cet échange épistolaire.

En 1834, Madame de Rambaud, âgée de près de 70 ans (elle était née le 10 décembre 1764), entreprit le voyage de Paris à Prague, accompagnant Monsieur Morel de Saint-Didier, messager de Naundorf, pour obtenir une audience de la duchesse d’Angoulême. Les princes en exil étaient alors hébergés au Hradschin, le château royal de la capitale tchèque.
La princesse refusa, faisant écrire par une de ses dames qu’elle ne pouvait pas croire qu’une personne d’un tel âge (avancé en effet pour l’époque) ait pu entreprendre un tel voyage.
Qui plus est, elle fit expulser sous 24 heures l’importune par la police autrichienne.
Cette réaction de la duchesse révèle la véritable panique qui s’est emparée d’elle à l’annonce de la présence à Prague, tout près d’elle, de celle qui avait le mieux connu Louis XVII enfant.
Si, réellement, elle avait pensé que la femme qui lui demandait audience n’était pas celle qu’elle disait être, quel moyen aurait été plus efficace pour faire éclater l’imposture - qui aurait à coup sûr rejailli sur Naundorf - que de lui accorder quelques minutes d’entretien pour la démasquer ?
Après tout, la fille de Louis XVI connaissait fort bien Madame de Rambaud et vice versa.
C’est précisément dans ce vice versa que le bât blesse pour la duchesse d’Angoulême. Les Enfants de France n’étaient pas élevés en vase clos, mais entourés d’une camarilla de serviteurs et d’autres enfants de leur âge. Madame de Rambaud les connaissait tous parfaitement.
Si la duchesse d’Angoulême s’est refusée à voir Madame de Rambaud, ce n’est pas pour ne pas écouter ses preuves en faveur de Naundorf, mais pour ne pas être reconnue elle-même pour une autre que celle qu’elle prétendait être !

Rencontre inopinée à Pillnitz

Pillnitz est un village du royaume de Saxe, sur les bords de l’Elbe, proche de Dresde, où se trouve un château qui servait de résidence d’été aux rois de Saxe. C’est là que se tint, les 25 et 26 août 1791, une conférence entre l’empereur Léopold II et le roi de Prusse Frédéric-Guillaume II, au cours de laquelle fut élaborée la Convention de Pillnitz qui marqua la naissance de la Première Coalition contre la France révolutionnaire.
La duchesse d’Angoulême était venue faire un séjour, prévu pour plusieurs semaines, dans ce château. L’épouse et les enfants de Naundorf étaient aussi présents à la date du 4 août 1834 et une dame de la Cour de Saxe fit en sorte de les ranger sur le passage de la duchesse. Leur ressemblance avec leurs grands-parents, Louis XVI et Marie-Antoinette, était frappante.
À son passage, la duchesse reçut à leur vue un tel choc qu’elle ne put dormir de la nuit. Sa dame d’honneur, Madame de Damas, a témoigné par la suite qu’elle passa la nuit à répéter : Mon frère… mon pauvre frère !.
Elle quitta la localité dès le lendemain matin, interrompant sans commentaire son séjour. Ce départ n’est rien d’autre qu’une fuite éperdue.


Références iconographiques : Les illustrations proviennent de Madame Royale et son mystère de Noëlle Destremeau, du plan de Turgot et pour les vues de Dresde de l'encyclopédie Alpha Le Million et de l'Encyclopédie Générale Hachette.