LA FÊTE DE LA FÉDÉRATION
Les mois qui suivirent linstallation de la famille royale au palais des Tuileries furent relativement calmes.
PRINCE ROYAL
Dès le 10 octobre 1789, pourtant, lAssemblée nationale transforme la titulature royale : Louis XVI nest plus «Roi de France et de Navarre», mais «Roi des Français». De même, Louis Charles nest plus «Dauphin de France», mais «Prince Royal».
Il va de soi, pour tout esprit rassis, que cette décision, si elle sapplique dans les faits en raison du rapport de forces de lépoque, nentraîne aucune conséquence pour lavenir, puisquelle est prise par un ramassis de délégués désormais dénué de toute légitimité. Pour nous, le Roi est toujours, envers et contre tout, Roi de France (lancien Royaume de Navarre ayant été absorbé par la France).
Gageons que le jeune prince ne sen est guère aperçu : sa famille a continué à lappeler Charles et les autres personnes, malgré son âge encore tendre, lui donnaient du Monseigneur.
CHARLES
Un fait est à noter au passage.
Dans la famille de Bourbon, presque tous les mâles se prénommaient Louis. Louis XIV avait été Louis Dieudonné, Louis XVI était Louis Auguste, le Premier Dauphin avait été Louis Joseph François Xavier, le comte de Provence était Louis Stanislas Xavier, le duc dAngoulême Louis Antoine, et Louis XVII lui-même était Louis Charles.
En fait, seul le Roi était appelé Louis, sans aucune adjonction. Il ne portait que ce seul prénom, et cest ainsi quil signait. Quand on disait «Louis», on parlait du Roi.
Tous les autres mâles de la famille étaient donc désignés par leur second prénom.
Cest ainsi que Louis XVII, qui na jamais régné quin partibus, a été toute sa vie appelé Charles. Telle est la raison de linterversion de ses prénoms dont il a usé à lâge adulte.
LES DÉPUTÉS CHANGENT LA FRANCE
Après avoir, le 28 octobre 1789, suspendu le recrutement monastique, les députés mettent, le 2 novembre, les biens ecclésiastiques à la disposition de la nation. Cette mesure avait dailleurs été proposée par Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, qui était encore évêque dAutun et Agent général du clergé (cest-à-dire en charge de ladministration des dits biens) : cette proposition de sa part avait soulevé lindignation de tous ses frères en sacerdoce, ce dont il navait cure.
Trois mois et demi plus tard, lassemblée interdit les vux monastiques et supprime les ordres religieux contemplatifs (13 février 1790).
Le 19 novembre 1789, lassemblée crée une Caisse de lExtraordinaire qui devra être alimentée par la vente des biens du clergé, dont il sera décidé, le 17 décembre, quils seront utilisés pour gager les dettes de lÉtat.
Le 19 décembre, création des assignats, dont chacun représente un bon dachat privilégié sur les biens de lÉglise.
La vente de ces biens (auxquels sajouteront les spoliations opérées sur les biens appartenant tant aux émigrés quaux ennemis de la nation - quelle tentation de déclarer dès lors un possédant ennemi de la nation !) créera une classe de profiteurs de ces acquisitions, faites souvent à des prix dérisoires, quils voudront à tout prix conserver. Ils se recruteront en partie à la campagne (le paysan aime être propriétaire de sa terre), mais surtout dans la bourgeoisie qui y trouvera un formidable levier denrichissement rapide et à peu de frais. Le régime s'assurera ainsi de solides soutiens, non pas par idéologie, mais par intérêt.
Le 4 février 1790, les députés prêtent le serment civique en présence du Roi qui nest plus désormais quun rouage de lÉtat comme un autre. Le 26 du même mois, un décret fixe les noms, létendue, les limites des 83 départements créés, ainsi que les districts qui les composent. La ville de Paris nest pas oubliée : le décret du 21 mai remplace les 60 districts par 48 sections. La commune de Montmartre est incorporée à Paris le 27 juin.
Le 15 mars 1790, lassemblée institue légalité dans le partage des successions et supprime le droit daînesse et de masculinité. La noblesse héréditaire, les titres, les ordres militaires, les armoiries, les livrées sont abolis le 19 juin. Le 28 mai, la cocarde blanche est abolie et la cocarde tricolore imposée aux officiers.
La justice est aussi rénovée. Le décret du 30 avril 1790 institue le jury, tandis que celui du 5 mai décide que les juges seront désormais élus. Le Tribunal de cassation est institué le 24 mai.
Après dinterminables palabres, la Constitution Civile du Clergé est adoptée le 12 juillet.
UNE COMPROMISSION HASARDEUSE
La France se trouve de la sorte complètement bouleversée et désorganisée. Un mouvement, peut-être spontané, sétait fait jour, visant à fédérer ses diverses parties. De nombreux accords locaux sétaient conclus ainsi, sur un fond général démeutes et de pagaille. Cet élan était dailleurs né en bonne partie en réaction contre ce climat généralisé de peur et dincertitude.
Le 9 juin 1790, sur proposition de Bailly, maire de Paris, un décret de lAssemblée constituante institue une fête de la Fédération à Paris le 14 juillet 1790. Elle doit se tenir sur le Champ-de-Mars et 200.000 Parisiens, toutes classes confondues (la capitale compte alors 600.000 habitants), travaillent avec ardeur et enthousiasme, dans la bonne humeur, aux énormes travaux de terrassement rendus nécessaires par lordonnancement de ces festivités. De vastes gradins sont en effet aménagés pour accueillir les délégués des gardes nationales venus de toute la France.
Le jour dit, le petit Dauphin assiste avec ses parents et sa sur à cette commémoration du début de la révolution qui vient de bouleverser le royaume sur lequel il est destiné à régner et se prépare à l'en priver.
Lenthousiasme de trois à quatre cent mille personnes venues participer à cette mascarade est indescriptible. Lenthousiasme est à son comble!
Mais on ne peut guère considérer ce rassemblement que comme une pantalonnade lorsquon voit les gardes nationales commandées par lincontournable La Fayette, le défenseur couché de Versailles.
Le comble de la comédie est de faire dire la messe, au son des trompettes et des tambours, par Son Éminence lévêque dAutun en personne, Charles Maurice de Talleyrand-Périgord, lequel, la veille, avait dû réapprendre à célébrer le service divin dont il avait à peu près tout oublié (pour autant quil lait jamais su réellement !), chez Monsieur de Saisseval qui lavait prié à dîner. Mirabeau (!) lui servit de mentor pour cette répétition, alors que la petite chienne du «prélat», qui ne le reconnaissait pas - et pour cause! - sous son déguisement sacerdotal, lui mordillait les mollets, à la grande joie de lassistance! On comprend quil ait, dit-on, glissé à loreille de La Fayette, au début de la cérémonie : Surtout, ne me faites pas rire !
Voilà qui donne le ton réel de cette comédie. Mais le peuple y crut : il pensait que la révolution était terminée.
Après que Louis XVI eut prononcé son serment, Marie-Antoinette se leva, son fils dans ses bras. Des acclamations jaillirent aussitôt, qui durèrent plusieurs minutes : Vive la Reine! Vive le Dauphin!. Le soir, le peuple dansa.
Pour le petit prince, les journées doctobre semblaient loin, bien que leur souvenir nait jamais pu seffacer vraiment de sa mémoire : il avait eu trop peur !
DESTINS CONTRASTÉS
Trois ans plus tard, le Roi et la Reine seront guillotinés. Madame Royale, livrée à lAutriche en échange de quelques révolutionnaires prisonniers, terminera peut-être ses jours dans quelque couvent autrichien de stricte clôture, après quon lui ait substitué une bâtarde du comte de Provence. Louis Charles mènera une vie de souffrances sans jamais voir ses droits reconnus que par une poignée de fidèles.
Mirabeau, après sêtre vendu - fort cher - au Roi, mourra dès le 2 avril 1791 : il sera dabord admis au Panthéon, dont la Convention le chassera pour le vouer aux gémonies.
L'astronome Bailly, maire de Paris et inventeur de la Fête de la Fédération, passera au "rasoir national" en 1793. La Fayette, individu sans cervelle adepte des idées nouvelles, n'y échappera qu'en s'enfuyant en 1792 en Autriche qui le fera arrêter et le détiendra jusquen 1797. Sous la restauration, il fit de lopposition libérale et fut un meneur de la révolution de 1830, servant de marchepied aux Orléans pour usurper le trône.
Talleyrand servira tous les régimes, sauf Louis XVI : la révolution, le directoire, le consulat, lempire, la restauration et la monarchie de juillet. Il les trahira tous. Pétri dintelligence, mais totalement amoral, sous couvert de se dévouer à la France, il se guida, pour l'essentiel sur les intérêts personnels de Charles Maurice de Talleyrand-Périgord.
Notons en outre que la fête du 14 juillet, instituée un siècle plus tard par un vote du Parlement en date du 31 janvier 1879 (avec la Marseillaise comme hymne national) ne commémore pas la prise de la Bastille, mais la fête de la Fédération et l'unité retrouvée des Français, l'espace d'une journée.
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