SOUS LA BANNIÈRE DE JEANNE par Adrien Loubier

JEANNE ET LE ROI

Beaucoup de princes se sont assis sur le pavé. Et celui à qui on ne pensait pas a porté la couronne. (Eccl. XI, 5.)

Dans une brochure ancienne, remontant aux années 50, intitulée "Qui ? Quand ? Comment ?", Monsieur Pierre d'André faisait un bilan de la situation de la France, empêtrée dans sa démocratie minable qui la conduit inexorablement à sa ruine et à sa disparition, et des possibilités de sa renaissance par la monarchie.

Certes en 2001, cette brochure date un peu sur certains points, mais quant au fond, elle reste actuelle, et converge tellement avec les idées maîtresses que nous défendons ici que nous n'hésitons pas à en livrer un extrait à nos lecteurs avec l'autorisation de la veuve de cet auteur. (1)

En outre, ce passage se référant largement à notre chère Jeanne d'Arc, la Sainte de notre patrie, trouvera sa place dans cette rubrique.

Le fond de l'abîme devait être atteint pendant la guerre de Cent Ans... La France était alors dévastée par les combats, ruinée par le conflit, déchirée par les querelles intestines et envahie presque complètement. Elle avait pour souverain un faible prince, Charles VII, dont, pour comble de malheur, la légitimité même était contestée, en raison de l'inconduite de la reine-mère, Isabeau de Bavière. Et comme si celle-ci avait voulu donner cours à tous les soupçons, elle avait, par le traité de Troyes, cédé la couronne de France à Henri V Plantagenet, semblant ainsi avouer elle-même que Charles VII n'était pas le fils de Charles VI.

Le "roi de Bourges", d'ailleurs, conservait peu d'illusion sur sa filiation, qu'à ses heures de découragement il considérait comme adultérine. Il n'avait pourtant pas perdu confiance en Dieu, et c'est dans un magnifique élan de foi qu'il prononça un jour cette prière admirable, que nous ne pouvons omettre de reproduire :

"Adonc, Seigneur mon Dieu, est-ce que, à cause de la conduite de ma mère, je ne serais pas, ainsi que je l'ai cru, l'Héritier légitime du trône et de la couronne de France? S'il en est ainsi, inspirez-moi, Seigneur, auquel cas je suis décidé à rendre le royaume à qui il appartient et à quitter le pouvoir pour me retirer en royaume ami. Au contraire, si je suis véritablement fils du Roi et légitime héritier de la couronne, je vous prie et demande de combattre pour moi et m'aider à recouvrer mon royaume.

Si les malheurs de la France sont arrivés à cause de mes péchés, qu'il vous plaise, Seigneur, de me punir tout seul, tout en m'épargnant rude prison et mâle mort; mais si ces malheurs sont la conséquence des péchés du peuple, veuillez bien apaiser votre colère et pardonner. "

On sait comment Dieu entendit cet appel : sa réponse fut Jeanne dArc.

Certes, nul n'ignore l'épopée de notre Sainte nationale et chacun, de nos jours, la revendique. Bien peu cependant connaissent sa véritable mission.

" Bouter l'Anglais hors de France" déclare l'immense majorité de nos contemporains
"Rétablir le principe de la légitimité et uniquement cela", affirmons-nous.

Jeanne n'a jamais eu pour mission de "bouter l'Anglais hors de France", ou alors il faudrait admettre qu'elle a échoué et que, par conséquent, Dieu - qui la guidait - a également échoué. Ce qui ne peut être soutenu raisonnablement.

Chasser l'envahisseur n'estst donc, dans l'épopée de la Pucelle, qu'une fin secondaire, sinon un simple moyen d'accomplir la seule et unique mission dont notre sainte ait été
investie, à savoir la restauration des principes.


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Et pourtant, il n'est pas possible de demeurer dans le doute , il faut se prononcer. Il faut trouver une solution.

Alors commençons par transposer le problème. Demandons-nous pourquoi, depuis 1789, aucun gouvernement stable et salutaire à la fois, n'a jamais réussi à s'implanter en France ; pourquoi le seul gouvernement légitime, la monarchie, a rencontré plus d'obstacles que les autres à cause, justement, de la division des monarchistes sur la personne du dynaste. Demandons-nous pourquoi ce problème nous paraît absolument insoluble, et si ce n'est pas à cause de la violation répétée d'une idée supérieure ou d'une vérité primordiale.

Approfondissons la question, étudions le principe essentiel de tout gouvernement, recherchons spécialement le fondement de la monarchie, de la vieille monarchie française qu'on appelait "royauté de droit divin".

Une hypothèse presque universelle de nos jours consiste à prétendre que cette appellation n'était, en quelque sorte, qu'une expression symbolique, qu'une formule de courtoisie, sans aucune portée positive et dépourvue de toute réalité. Cette hypothèse est parfaitement gratuite et ne repose sur aucun argument sérieux.

Une autre explication, âprement combattue par les philosophes et les rationalistes, mais généralement admise autrefois, et par des hommes de la classe d'un saint Thomas, consiste à considérer que Dieu est le seul principe de toute autorité, autorité qu'il délègue au père dans la famille, et au roi dans la nation.

Et ce n'est pas là seulement un axiome métaphysique, c'est un fait, une réalité
s'appuyant sur des données historiques et juridiques, dont, bien entendu, on ne parle évidemment pas dans les manuels scolaires de la IVème République, ni dans ceux de la IIIème.

Dédaignons donc ces faux-maîtres et faisons, hors leur compagnie, une courte incursion dans l'Histoire.

En 496, la Gaule avait à sa tête un homme qui n'était au fond qu'un vulgaire chef de bande : Clovis. Cependant, ce barbare, dans la nuit de Noël de cette même année 496, se faisait baptiser en compagnie de 3 000 de ses meilleurs guerriers et proclamait, dans un acte solennel, la Loi Salique, que le Christ était Roi de France.

Cette royauté du Christ, longtemps admise comme indiscutable, devait être un jour reniée et c'est ce reniement qui entraîna chez nous tout un cortège de misères, comme chaque fois que l'on s'éloigne d'une source de vie.

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Comment expliquer autrement les affirmations mille fois répétées de Jeanne, en particulier celle-ci, lejour même du sacre : "Sire, maintenant est accomplie la volonté de Dieu, qui voulait que vous fussiez couronné et sacré à Reims. Permettez que je m'en retourne avec père et mère pour garder leur troupeau et faire ce qu'ils me commanderont. "

Or, à ce moment, le tiers du royaume est encore aux mains d'un ennemi d'ailleurs plus puissant que le roi de France, puisqu'après le sacre nos armes connaissent défaites sur défaites, malgré la présence de Jeanne. Or, si celle-ci avait eu pour mission de chasser l'Anglais, son projet d'abandonner les armées eût été une véritable désertion, absolument incompatible avec son caractère.

Mais Jeanne sait et affirme que sa mission est terminée, parce que celle-ci consistait uniquement à faire sacrer le roi à Reims.

Seulement une telle vérité est parfaitement inconnue de nos jours, parce que trop favorable à la monarchie. Certes, lorsque la Pucelle déclare : "Ni Armagnacs, ni Bourguignons, tous pour le roi de France", nos démocrates-chrétiens ont beau jeu de traduire : " Tous pour la France". Mais nous les mettons au défi d'expliquer Reims. Militairement, c'est une faute et une incroyable imprudence que d'avoir tenté cette expédition. Politiquement et religieusement, celle-ci était inutile, car il existait bien d'autres basiliques en France et certains rois n'avaient pas été sacrés à Reims, tel Pépin le Bref et Charlemagne, à Saint-Denis ; Louis Il à Compiègne ; Louis III à Ferrière-en Gâtinais ; Louis VI le Gros à Orléans, et, plus tard, Henri IV à Chartres.

Mais Reims, c'était toute la tradition monarchique que notre Sainte était venue restaurer. Reims, c'était le lieu du Pacte conclu entre Clovis et le Christ, c'était donc le symbole susceptible de frapper les imaginations, en rappelant aux Français leur histoire miraculeuse, la légitimité de notre monarchie et la royauté du Christ sur la France.

Et là encore il nous faut rapporter un épisode symptomatique de la vie de Jeanne soigneusement omis par tous les auteurs modernes parce que trop gênant, et qui met en relief, en l'authentiquant sous forme de contrat, cette royauté du Christ.

" Un jour, à Chinon, vers la fin du mois de mai 1429, la Pucelle demanda au Roi de lui faire un présent. Sa requête fut agréée. Elle le pria alors de lui offrir en son propre le royaume de France. Le prince, étonné, après quelques hésitations, le lui accorda cependant et la jeune fille l'accepta. Elle voulut même que l'acte en fut solennellement dressé par devant notaire et lu par les quatre secrétaires du roi. La charte rédigée et récitée à haute voix, le monarque resta ébahi lorsque Jeanne, le montrant, dit à l'assistance : "Voilà le plus pauvre chevalier de son royaume. " Et après un peu de temps, en présence des mêmes notaires, disposant en maîtresse du royaume, elle le remit entre les mains du Tout-Puissant. Puis, au bout de quelques autres instants, agissant au nom de Dieu, elle investit le roi Charles du royaume de France. Et de tout cela elle voulut qu'un acte solennel fut dressé par écrit. " (2)

Ici encore, les puristes vont ratiociner et prétendre que Charles VII n'étant que le dépositaire de sa couronne ne pouvait en disposer.

Cette thèse est parfaitement fondée, mais, justement, par le fait de l'appartenance totale de la France à Dieu.

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Il serait dès lors puéril de contester à un souverain le droit de faire don de son
royaume à qui le lui a donné par droit de naissance et le lui a rendu par droit de conquête. Car Charles VII savait avec certitude que Jeanne était l'Envoyée de Dieu et, en lui donnant sa couronne, c'est à Dieu qu'il la remettait.

Nous sommes donc placés devant le dilemme suivant : ou Jeanne d'Arc a monté pour le Roi une incroyable comédie, indigne de toute âme droite.

Ou alors elle disait bien la vérité, elle parlait bien au nom du Christ, elle agissait bien dans le cadre de sa mission, de son unique mission, la restauration de la légitimité... et nous sommes forcés de reconnaître qu'une fois de plus s'est trouvée affirmée et solennellement proclamée la seule royauté du Christ.

Ainsi donc, historiquement et juridiquement, ou, si l'on préfère, en droit et en fait, le roi de France, le seul roi de France, c'est le Christ (ceux que nous appelons nos rois n'étant que ses lieutenants, ses mandataires).

Cette idée-maîtresse, cette idée capitale, cette vérité dont les conséquences sont incalculables, a dominé et domine encore toute notre histoire et commande nos destinées futures. C'est de cette vérité - et d'elle seule - que notre Patrie a vécu. C'est par elle qu'elle a conquis la première place dans le monde, c'est elle qui lui a valu le titre de " Fille aînée de lÉglise". C'est sa méconnaissance depuis 1789 qui l'a fait décliner sans cesse, et c'est parce que le Christ a été officiellement chassé de nos constitutions que notre décadence s'accélère et que, par suite, le monde se trouve désaxé, comme cela se produit chaque fois que le peuple élu faillit à sa mission.

(1) Cette brochure est disponible aux Editions Sainte Jeanne d'Arc au prix de 40 F + 4,20 F pour les frais de port.

(2) Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, année 1885, page 649 - Cf également la déposition du duc d'Alençon, le 3 mai 1456, au procès de réhabilitation de Jeanne d'Arc.

Source : SOUS LA BANNIÈRE N° 94 Mars-Avril 2001, Les Guillots, 18260 VILLEGENON

Directeur : A-M. Bonnet de Viller

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JEANNE ET CHARLES VII