Après la malheureuse équipée de Varennes, la situation de la monarchie, déjà chancelante, ira en se dégradant très rapidement. Nayant pas su prévenir lorage avant 1789, elle le subit désormais de plein fouet.
La Constituante - en réalité les anciens États Généraux, qui navaient pas été élus pour bouleverser le royaume - tient sa dernière séance le 30 septembre 1791. La Législative lui succède dès le lendemain, 1er octobre, et poursuit la même uvre satanique.
Dès le 25 juin, jour du retour de la famille royale à Paris, Louis XVI a été suspendu jusquà nouvel ordre par lAssemblée nationale. Il est évident que dès lors la royauté, qui avait déjà perdu la quasi-totalité de son pouvoir au profit de ce ramassis de bavards, nest plus quune fiction.
Le Roi est entendu par trois commissaires de lAssemblée, dAndré, Duport et Trounchet, sur les circonstances de ce quelle a qualifié par prudence denlèvement.
Le 15 juillet, un décret proclame le Roi inviolable, ce qui exclut tout jugement : on sait ce quil adviendra de cette décision dix-huit mois plus tard !
Le lendemain, 16 juillet, il est décidé que la suspension du Roi est maintenue jusquà ce quon lui ait présenté et quil ait ratifié la constitution.
LAssemblée clôt ses débats sur la constitution le 3 septembre et le Roi la sanctionne le 13 septembre. Le lendemain, Louis XVI prête serment à la constitution devant lAssemblée.
Prenant ses précautions avec son opportunisme habituel, le duc Philippe dOrléans, le futur Égalité régicide, renonce à ses droits éventuels à la régence dès le 28 juin. Il navait jamais pardonné à Marie-Antoinette lattitude ironique de la Cour après quil a été traité de couard en raison de son attitude quelque peu ambiguë à la bataille navale dOuessant contre les Anglais. Il avait prétendu ne pas avoir vu les signaux du commandant de la flotte, le grand marin Du Chaffault. Son inaction avait coûté à la France une victoire totale quelle aurait remportée sans cela. Il est vrai aussi quOrléans était un ardent propagandiste de langlomanie.
Le 27 juin, les jacobins de Montpellier avaient envoyé une pétition demandant linstauration dune république. Mais les 19 et 20 septembre, le Roi est acclamé par la foule au Théâtre Italien et à lOpéra.
LAssemblée continue son travail de démolition du royaume pour instituer le pouvoir absolu de la bourgeoisie et, essentiellement, des robins : nombre de députés sont avocats, et pas toujours les meilleurs, hélas.
Les émigrés
Le 9 juillet, les émigrés sont sommés de rentrer sous deux mois. Le 17 août, un nouveau décret leur enjoint de rentrer sous un mois.
Le 25 du même mois, il est décidé que les officiers déserteurs et émigrés seront poursuivis comme transfuges.
Le 31 octobre, la Législative enjoint à Monsieur, comte de Provence, frère du Roi, de revenir en France sous peine de perdre ses droits à la régence.
Un décret du 9 novembre de la Législative enjoint aux émigrés de revenir en France avant le 1er janvier 1792, sous peine de voir leurs biens confisqués et dêtre condamnés à mort par contumace.
Le Roi oppose son veto le 11 novembre à ces deux derniers décrets, mais il demande à ses frères et aux émigrés de rentrer. Les princes refusent à cause de la captivité physique et morale où Sa Majesté est retenue.
La Législative, le 18 janvier, prive Monsieur, frère du Roi, de ses droits éventuels à la régence et, le 9 février, confisque les biens des Français à létranger au profit de la nation.
La lutte contre lordre ancien
LAssemblée abolit le 30 juillet les décorations et signes extérieurs de distinction de naissance.
Lordre des avocats est supprimé le 2 septembre, et cest le tour des Cours des Comptes le 17 septembre. La Sorbonne est supprimée le 5 avril.
La première décision que prend la Législative abolit les appellations de Sire et de Majesté, attribue au Roi un siège identique à celui du président de lAssemblée et autorise les députés à sasseoir en sa présence. Ce décret est néanmoins aboli le lendemain.
Le 31 décembre, un décret de la Législative supprime lhommage au Roi à loccasion du 1er janvier.
Le 16 janvier, la Législative décide de casser et de renouveler complètement la garde personnelle du Roi. Elle supprime ensuite la garde constitutionnelle du Roi le 29 mai.
Lorganisation des nouveaux pouvoirs
Une police municipale et correctionnelle est organisée le 19 juillet, et la garde nationale le 28. Les députés légifèrent sur la police de sûreté, la justice criminelle et les jurys le 16 septembre. Le code pénal est promulgué le 25 septembre. Le 20 mars, la Législative décide dengager les dépenses relatives à la construction de guillotines.
Le 9 août, lAssemblée proclame la France indivisible.
Le 4 août, les députés mettent au point la levée de gardes nationaux, les volontaires de 1791. Ils décident le 28 août de rétablir la discipline dans les armées. Le 23 septembre, le commandement de la garde nationale de Paris est attribué à chacun des commandants des six légions à tour de rôle. Le 29, la participation à la garde nationale est limitée aux citoyens actifs et à leurs fils. Le 28 décembre, la Législative organise des bataillons de volontaires.
Un décret de la Législative ordonne la levée de 20.000 fédérés qui doivent former un camp à proximité de Paris. Le Roi y oppose son veto le 11 juin.
Une loi organique sur la presse est votée le 23 août.
La Constituante décrète le 27 septembre que tout homme vivant en France est libre, quelle que soit sa couleur, ce qui laisse subsister lesclavage dans les colonies. Le 24 mars, lAssemblée décrète légalité politique pour les hommes de couleur libres des Antilles.
Le 1er novembre, émission de cent millions dassignats, portant le total émis à mille neuf cents millions. Émission de trois cents nouveaux millions le 17 décembre. Le 21 avril, la dépréciation de lassignat par rapport à lor se chiffre à 50 %. Émission de trois cents millions dassignats le 30 avril.
Un décret de la Législative en date du 1er février 1792 institue lobligation davoir un passeport pour se déplacer à lintérieur du royaume.
Le 20 juin, avec lappui, au moins partiel, de la municipalité parisienne et, entre autres, du procureur général Manuel et du substitut Danton, se met en place un comité insurrectionnel secret qui remplacera désormais, de façon totalement illégale, la municipalité élue : cest la Commune insurrectionnelle de Paris.
La lutte antireligieuse
Le port dhabits ecclésiastiques en dehors des édifices religieux est interdit le 15 août, date symbolique à ce sujet. Le 29 novembre, la Législative ordonne aux prêtres réfractaires de prêter un serment civique sous peine dêtre considérés comme suspects : le Roi y oppose son veto le 19 décembre.
Le 27 mai un décret de lAssemblée ordonne la déportation des prêtres réfractaires. Le Roi y oppose son veto le 11 juin.
Les événements à létranger
Dans sa déclaration du 6 juillet, lempereur Léopold II demande aux autres souverains de se joindre à lui pour exiger le respect de la liberté et de lhonneur du Roi de France.
À Saint-Domingue, les noirs entrent en insurrection le 22 août.
À Pillnitz, en Saxe, lempereur Léopold II et le roi de Prusse Frédéric-Guillaume II signent en présence de lélecteur de Saxe et du comte dArtois, une déclaration dans laquelle ils manifestent leur volonté de mettre le Roi de France en état daffermir les bases dun gouvernement monarchique.
À la suite dun plébiscite, Avignon et le Comtat Venaissin, possessions des Papes, sont incorporés à la France.
Léopold II dAutriche décède à Vienne le 1er mars 1792. Son fils, François II, lui succède.
Le 16 mars, le roi de Suède Gustave III, est assassiné. Son fils, Gustave IV, lui succède.
Larmée russe entre en Pologne le 19 mai.
Les troubles
Gallois et Gensonné, envoyés en Vendée pour enquêter sur les troubles qui sy déroulent, font rapport à lAssemblée le 9 octobre. Le 16, de graves émeutes contre-révolutionnaires éclatent à Avignon. Un rapport du directoire du département de la Mayenne est lu le 6 novembre à lAssemblée : il annonce la préparation dune insurrection contre-révolutionnaire sous la direction de prêtres réfractaires.
Les frères du Roi approuvent le 5 décembre le plan dinsurrection en Bretagne élaboré par le marquis de La Rouërie.
La population de Paris pille les épiceries le 23 janvier, alors que la spéculation sur le sucre et le café se déchaîne en raison de linsurrection de Saint-Domingue. Le 13 février, les magasins des grainetiers sont pillés à Montlhéry. Une émeute se déclenche le lendemain à Dunkerque et voit le pillage des magasins du port. Le 23 février, affrontement à Beauvais entre larmée et la foule à propos dun chargement de grains.
Le 18 février, le 14ème régiment dinfanterie se mutine à Béthune.
Les paysans des environs de Mende, menés par leurs curés réfractaires, occupent la ville le 26 février. Le 3 mars, cest le maire dÉtampes qui est massacré, tandis que le 8 larmée écrase une émeute à Conches.
La guerre
Le 20 octobre, Brissot et ses amis commencent leur propagande belliciste. Le 25 octobre, Vergniaud propose à la Législative de prendre loffensive militairement.
Le 14 décembre, Louis XVI annonce à la Législative quil exige de larchevêque-électeur de Trèves la dispersion des rassemblements démigrés sur ses terres avant le 15 janvier 1792.
Une note de lempereur avise le gouvernement français quil défendra larchevêque-électeur de Trèves contre une agression militaire de la France et reprend les éléments de la déclaration de Pillnitz du 27 août.
La Législative vote le 29 décembre un crédit de 20 millions pour la guerre, guerre quIsnard qualifie dans un discours dindispensable pour consommer la révolution.
Le 25 janvier, la Législative envoie un ultimatum à Léopold II dAutriche. Le ministère réitère cette démarche le 25 mars.
Le 20 avril, déclaration de guerre de la France au roi de Hongrie et de Bohême. Le 28, les troupes de Rochambeau entrent en Belgique. Mais le lendemain une contre-offensive autrichienne provoque la débandade de larmée française. Le général Dillon, qui cherchait à rameuter ses troupes, est massacré par elles.
Le 5 mai, lAssemblée ordonne la levée de 31 nouveaux bataillons. Mais le 6, le régiment Royal-Allemand passe à lennemi, suivi le 12 par les régiments de hussards de Saxe et de Bercheny.
Une atmosphère tendue
Durant toute cette période, cest la tristesse qui régne aux Tuileries. On est bien loin de la magnificence de Versailles ! Un reste détiquette subsiste, mais ce nest plus quune façade.
Malgré son jeune âge, le petit prince lui-même remarque les signes de désarroi. Le matin, il va souvent jouer et jardiner dans son petit carré de la terrasse du bord de leau. Un jour, une brave femme lapproche pour le prier de solliciter une grâce : Ah, Monseigneur, si jobtenais cette faveur, je serais heureuse comme une reine ! Louis Charles, qui cueillait des marguerites, sans doute pour la Reine, à son habitude, relève la tête et la regarde : Heureuse comme une reine ?
. Moi, jen connaîs une qui ne fait que pleurer !
Un autre jour, il se décide à solliciter une explication de son père : Je voudrais vous dire quelque chose de sérieux. Pourquoi votre peuple, qui vous aimait tant, est-il tout à coup fâché contre vous ? Quavez-vous fait pour le mettre si fort en colère ? Louis XVI ne répond rien : que pourrait-il répondre à ce gamin qui vient juste davoir sept ans ?
Louis XVI sait fort bien que la constitution quil vient de sanctionner est inapplicable dans les faits. Il pense quen lappliquant exactement il prouvera au peuple ses défauts irrémédiables. Il ne se doute certes pas que les députés et municipaux déchaînés ont dautres idées en tête et quils ne lui laisseront pas le temps de se livrer à cette démonstration.
La journée sorganise
Le 17 juin, la Législative a formé une commission des douze pour veiller aux dangers de la patrie : il sagit en réalité de lébauche du futur Comité de Salut Public.
Le 19 juin on voit rôder dans Paris ces visages sinistres qui ne sy montrent quaux heures les plus sombres : la révolution, contrairement aux affirmations de la plupart des historiens, na pas été faite par le peuple de Paris, mais contre lui, qui ne demandait quà vivre en paix. Toutes les émeutes qui ont jalonné la révolution de repères sanglants sont le fait dun ramassis de vagabonds, de prisonniers évadés ou libérés tout exprès, et détrangers sans feu ni lieu, soldés par des mains qui, pour être théoriquement anonymes, nen sont pas moins pour la plupart parfaitement connues : Philippe dOrléans y consacra sa fortune. Devant ces nouveaux écorcheurs, le premier mouvement des Parisiens a toujours consisté à se barricader chez soi.
Des groupes armés se forment ici et là. Il nest quun cri dans la ville : il faut aller à lAssemblée exiger la suppression du veto ! Mais le directoire du département a décrété que tout rassemblement serait contraire à la loi. Pétion, maire de Paris, tourne cette interdiction en autorisant lattroupement à marcher et à se réunir sous ses drapeaux et sous le commandement de ses chefs.
En résumé, la Commune insurrectionnelle de Paris prépare une émeute légale, ou du moins parée des oripeaux dune fausse légalité.
Des bruits courent : dix-huit mille chevaliers du poignard seraient rassemblés au château pour défendre le Roi et sa famille. Les Tuileries étaient certes vastes, mais on se demande comment une telle foule de défenseurs, même pauvrement armés de simples poignards, auraient pu se masser en secret dans le château !
On dit aussi que le Roi se serait confessé et quil aurait rédigé son testament. Il faut noter que le fait de se confesser, pour le Roi Très Chrétien, attaché au catholicisme, ne devrait étonner personne. Quant à rédiger son testament, cest le fait de tout citoyen prévoyant - le Roi comme tout autre -, surtout dans une période troublée, et que cela na jamais fait mourir personne.
Défilé des émeutiers à la Législative
Le matin, un groupe de pétitionnaires veut défiler à la barre de lAssemblée. Un de leurs délégués est admis et dit aux députés : Nous demandons que vous pénétriez la cause de linaction de nos armées. Si elle dérive du pouvoir exécutif, quil soit anéanti. Le sang des patriotes ne doit pas couler pour satisfaire lorgueil et lambition du perfide château des Tuileries».
Le déroulement et le but du complot sont parfaitement clairs après cette harangue dénuée dambiguïté. Après avoir constitué la Commune insurrectionnelle de Paris, après avoir créé davance lembryon du futur Comité de Salut Public, après avoir organisé ouvertement une manifestation interdite, on vient déclarer tout net à lAssemblée que le but de tout ce remue-ménage nest autre que la chute de la monarchie !
Car si nos armées font piètre figure face à des Autrichiens pourtant guère actifs eux-mêmes, la responsabilité nen échoit pas au Roi, mais aux révolutionnaires qui le savent dailleurs fort bien !
Comme toutes les journées révolutionnaires, celle du 20 juin 1792 nest quune sinistre mascarade, une escroquerie relevant dun plan à long terme de lutte antimonarchique et anti-chrétienne concocté de longue date par des meneurs occultes et mis en uvre par un troupeau dimbéciles.
Finalement, à 14h00, les émeutiers sont autorisés à défiler devant la Législative qui, comme toujours dans ce genre de circonstances, ne devait pas en mener large : les députés veulent bien pérorer sur le peuple, mais surtout pas se mêler à lui !
Précédé dune dizaine de musiciens, un ramassis de citoyens de toutes les sections et de détachements de la garde nationale sécoule en vociférant devant les députés. Les hommes sont armés de piques, de bisaiguës, de tranchets, de couteaux, de bâtons. Quelques femmes agitent des sabres. Cette foule immonde agite des enseignes : À bas le Veto ! - Avis à Louis XVI : le peuple est las de souffrir. - La liberté ou la mort ! .
La foule, après avoir défilé, veut sécouler par les Tuileries. Les postes habituels de la garde nationale qui protègent le château nont pas été doublés. On sest borné à fermer les grilles. Celles-ci cèdent sous la pression de la foule qui, ayant traversé les jardins, revient par les guichets du Louvre et se retrouve au Carrousel, devant lentrée du château.
Il est 16h00.
Lassaut du château
Santerre qui est sorti bon dernier de lAssemblée se tient devant la grande porte. Il demande : Pourquoi nêtes-vous pas entrés dans le château ? Il faut y aller ; nous ne sommes descendus que pour cela.
Nouvel aveu, et de taille, du but réel de lémeute. La foule se rue et envahit la demeure royale.
Derrière le général Santerre, un groupe de citoyens de la section du Val-de-Grâce traîne vaille que vaille un canon. Santerre se tourne vers les gardes nationaux du bataillon des Petits-Pères, affectés ce jour-là à la garde du château et leur crie : Si vous refusez louverture des portes, on les brisera à coups de boulets ! La garde sécarte
Un bruit sourd envahit dès lors le bâtiment, dû au martellement de tous ces pas dans le grand escalier. Un grand fracas sy ajoute bientôt : les émeutiers ont imaginé de monter le canon au premier étage.
La foule sentasse dans le grand vestibule qui occupe tout le premier étage du pavillon central. Marie-Antoinette, dont les appartements sont au rez-de-chaussée, entend une porte que lon fait sauter à coups de hache au-dessus de sa tête. La foule vient dentrer dans lil-de-buf, du même nom quà Versailles, qui sert de vestibule à la Chambre de parade. Après cette pièce se trouvent en enfilade la Salle du conseil, la Galerie de Diane, les appartements du Roi et ceux des enfants royaux.
Au rez-de-chaussée, dautres émeutiers, des Piques, cherchent lappartement de la Reine. Quelques gardes nationaux se trouvent dans lantichambre, mais laissent passer le flot : les fusils ne seront même pas décrochés des râteliers !
Un homme parvient jusquà une porte dont il enfonce les panneaux à coups de hache : Jaurai la Reine morte ou vive ! Marie-Antoinette, qui est tout près, lentend distinctement. Elle veut se réfugier auprès du Roi qui, au premier étage, sest avancé au-devant de lémeute.
Ses femmes lentraînent en courant dans lappartement du Dauphin, mais le valet de chambre du prince la porté chez Madame Royale. Marie-Antoinette retrouve enfin ses deux enfants et tous trois se réfugient dans un petit passage séparant la chambre du Dauphin de celle du Roi : dissimulée dans une boiserie, on ne peut la déceler. Cest par ce corridor que Louis XVI est sorti un an plus tôt.
Un quart dheure plus tard, on vient enfin annoncer à la Reine que le Roi et sa sur, Madame Élisabeth, cernés par la foule, se trouvent dans lil-de-buf. Autour delle, le tumulte va croissant, les cris de mort redoublent. Le bruit des portes qui volent en éclats sous les coups de hache se rapproche. La première salle de lappartement du Dauphin est forcée.
Laissez-moi me rendre aurpès du Roi, mon devoir my appelle ! dit-elle en pleurant au petit groupe qui lentoure et elle savance pour sy rendre. Le chevalier de Rougeville, un des Chevaliers du poignard, un familier des Tuileries, larrête : Où allez-vous, Madame ? - Près du Roi
Cest sur vous, Monsieur, que je compte pour me faire parvenir près de lui».
Le chevalier de Rougeville lempêche de passer. Marie-Antoinette le supplie : Ce nest quà moi que le peuple en veut
Je vais leur offrir leur victime !
Conscient que lapparition de la Reine dans lantichambre donnerait le signal de la curée, Rougeville ne lécoute pas et lentraîne vers la Chambre du conseil qui na pas encore été envahie. Rougeville place Marie-Antoinette, ses enfants et ses femmes derrière une lourde table que lon pousse dans un angle. Trois rangs de grenadiers de la section royaliste des Filles Saint-Thomas se rangent devant la table.
Durant ce temps, Louis XVI, ayant sa sur à ses côtés, est toujours bloqué dans lil-de-buf par les émeutiers. Ils lui demandent de retirer son veto et menacent de revenir tous les jours. Le Roi répond sans se départir de son calme : La force ne fera rien sur moi : je suis au-dessus de la terreur.
On lui tend un bonnet rouge dont il se coiffe. Il accepte de crier Vive la nation ! Mais il ne cède pas. Le boucher Legendre linvective : Monsieur, écoutez-nous ; vous êtes fait pour nous écouter
Vous êtes un perfide. Vous nous avez toujours trompés ; vous nous trompez encore. Mais prenez garde à vous ; la mesure est à son comble, et le peuple est las de se voir votre jouet. Ce discours na pas plus deffet que les autres menaces.
La Législative poursuit ses bavardages au Manège, sans se porter au secours du pouvoir exécutif, lequel na plus de pouvoir que le nom.
Le Roi ne peut être en danger : il est entouré par le peuple ! sécrie Thuriot. Ce nest pas le peuple ; ce sont des brigands ! réplique Beugnot, avouant par là même ce que chacun sait, cest-à-dire que la révolution na pas été luvre du peuple mais dun ramassis dindividus de sac et de corde sous lempire de meneurs occultes.
Depuis le début de laprès-midi, le maire de Paris, Pétion, se trouvait à lHôtel de Ville, regardant passer la foule en murmurant : Que ce spectacle est beau !
À 18h00, il se présente enfin aux Tuileries et savance vers le Roi : Sire, je viens dapprendre dans linstant la situation dans laquelle vous êtes
- «Cela est bien étonnant, lui répond Louis XVI avec calme, il y a deux heures que cela dure !
Pétion grimpe sur les épaules de deux grenadiers tandis que le Roi agite une sonnette. Le maire prononce quelques mots ahurissants de mauvaise foi : Le peuple a fait ce quil devait faire. Vous avez agi avec la fierté et la dignité dhommes libres. Mais en voilà assez : que chacun se retire
Louis XVI apporte une précision : Jai fait ouvrir les appartements dapparat ; le peuple défilant du côté de la galerie aura plaisir à les voir.
Les émeutiers traversent la Chambre de parade. On ouvre la porte de la Chambre du Conseil et tous se figent : Marie-Antoinette, quils ont tant cherchée, est là, derrière la table sur laquelle se tient debout le petit Dauphin. Santerre entre le premier et interpelle les grenadiers et les femmes : Faites place pour que le peuple entre et voie la Reine ! Les soldats se rangent de côté et un officier de la 17ème division pose un bonnet rouge sur la tête de Marie-Antoinette. La Reine lenlève et le pose sur la tête de son fils. Santerre savance vers la table sur laquelle il sappuie : Ne craignez rien, Madame, je ne veux pas vous faire du mal, mais songez que vous êtes dans lerreur et quil est dangereux de tromper et de vouloir en imposer au peuple. Néanmoins je réponds de tout et je vais faire défiler
Et, se tournant vers la foule qui sest arrêtée sur le seuil de la pièce, il sécrie : Regardez la Reine et le Prince royal !
Le flot des émeutiers sécoule lentement, agitant des écriteaux avec linscription Marie-Antoinette à la lanterne ! Une virago linterpelle : Tu es une infâme ! - Vous ai-je jamais fait aucun mal ? murmure la Reine avec calme.
Maintenant, cest le peuple de Paris, le vrai, curieux, qui défile. Une femme regarde la Reine et ses enfants, les femmes apeurées qui les entourent. Elle éclate en sanglots. Elle est soûle déclare Santerre.
Pour rejoindre le Roi, Madame Élisabeth a dû prendre la file. Arrivée à la table, elle tranquillise la Reine à mi-voix : Le Roi est sauvé ! - Ils massassineront la prochaine fois, et que deviendront mes enfants ? soupire Marie-Antoinette.
À 20h00, cette ignoble mascarade prend fin. Des portes fracassées gisent à terre. On marche sur des morceaux de glace. Le canon a défoncé les lattes du parquet.
Louis XVI peut enfin retrouver les siens qui se jettent à son cou. La Reine le fixe dun il hagard : il a oublié de retirer le bonnet rouge dont il avait dû se coiffer
Il vient de vivre une fois de plus une longue journée démeute. Lui a-t-on expliqué la différence qui existe entre ces forcenés et le vrai peuple ? On ne sait, et cest dailleurs peu probable. Il nest pas certain que la famille royale dans son ensemble, qui avait vécu dans sa tour divoire de Versailles, soit en mesure de faire cette distinction.
Pour Louis Charles, cest son peuple qui se présente à lui sous les pires apparences.
Une fois de plus, il a ressenti une frayeur intense, quil lui a fallu refouler, car il est prince et ne doit pas montrer ses sentiments.
Ce sont les mêmes destructions et les vociférations de Versailles quil a entendues trente mois plus tôt, en un jour pluvieux doctobre. Aujourdhui, cest le début de lété ; il fait chaud et, sous ce maudit bonnet rouge dont on la affublé, il étouffe littéralement deux heures durant.
Il a sept ans deux mois et vingt-quatre jours.
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