LES JOURNEES D'OCTOBRE 1789

Le prélude

Le 17 juin 1789, les États Généraux accomplissent leur coup d’État : ils s’autoproclament Assemblée nationale constituante et déclarent leurs membres inviolables. Ils n’avaient reçu aucun mandat pour ce faire, ni de leurs électeurs, ni bien sûr du Roi.
Prise en contradiction avec les ordres formels de Louis XVI, cette décision supprime toute légitimité en France. Le duc Pasquier, qui fut de tous les régimes subséquents, écrira dans ses Mémoires, peu avant sa mort, en 1862 : En France, depuis 1792, il n’y a jamais eu de gouvernement légitime. C’est toujours le cas aujourd’hui, mais c’est bien le 17 juin 1789, et non en 1792, que la légitimité a disparu en France. De ce fait, la révolution, pour l’essentiel, est accomplie : ce qui suivra n’en sera que la conséquence.

La vie du jeune prince à Versailles

Louis Charles n’eut sans doute aucune conscience de la tempête qui montait. À Versailles, la vie continuait, inchangée.
Des décès sont certes venus endeuiller sa famille.
Le quatrième et dernier enfant du couple royal, Sophie Hélène Béatrice, née le 9 juillet 1786, meurt dès le 19 juin 1787. On connaît le célèbre tableau représentant Marie-Antoinette et ses enfants : elle a Marie-Thérèse à sa droite et Louis Charles sur ses genoux, tandis que le Premier Dauphin, Louis Joseph François Xavier, montre le berceau vide à la gauche de sa mère. Louis Charles avait alors deux ans. Il est donc très vraisemblable que cette disparition l’a peu affecté.
Le 4 juin 1789, son frère aîné, le Premier Dauphin, meurt à Meudon. Louis Charles devient de ce fait Dauphin de France. Il a quatre ans deux mois et huit jours. Il a sans doute remarqué la profonde tristesse de ses parents bien que l’étiquette leur défende d’en faire montre. Il y avait en outre plus d’un an que les médecins avaient fait transporter Louis Joseph au château de Meudon dont ils estimaient l’air plus sain qu’à Versailles. Comment le petit duc de Normandie s’est-il aperçu du décès de son frère ? Peut-être a-t-il constaté, de la part des membres de sa Maison, une considération plus marquée à l’égard de l’héritier du trône qu’il est devenu mais il est peu probable que, dans le contexte de l’époque, il y ait prêté grande attention.

Premiers départs en émigration

Il a sûrement remarqué que la Gouvernante des Enfants de France, la duchesse de Polignac, que Marie-Antoinette a envoyée en émigration avec tous les siens, a été remplacée par la marquise de Tourzel. Encore que cela n’ait rien changé dans sa vie quotidienne car, à cet âge, on vit au jour le jour. Cette charge à la Cour, très honorifique et très convoitée, consistait pour l’essentiel à transmettre les ordres de la Reine : ces grandes dames n’avaient pas l’habitude de donner elles-mêmes des soins aux enfants qu’elles gouvernaient , pas davantage qu’à leurs propres enfants qu’elles confiaient à des domestiques.
Peut-être a-t-il constaté aussi la disparition, dès la mi-juillet, de son oncle, le comte d’Artois, et de ses deux fils, Angoulême (né le 6 août 1775, il n’a pas encore 14 ans) et Berry (né le 24 janvier 1778, il a 11 ans), ainsi que du prince de Condé, de son fils, le duc de Bourbon, et de son petit-fils, le duc d’Enghien. Il est vrai qu’à son âge, ses rapports avec eux ne devaient guère être fréquents.

La soirée du 1er octobre

Louis Charles, qui a toujours été passionné des choses militaires, fut certainement beaucoup plus impressionné et enthousiasmé par les acclamations qu’a reçu le couple royal, accompagné du tout jeune Dauphin, le 1er octobre. Ce soir-là, les officiers de la garnison de Versailles avaient offert un banquet dans la salle de l’Opéra à ceux du régiment de Flandre, arrivé tout récemment de Douai pour protéger la famille royale. Après avoir hésité, Marie-Antoinette y avait entraîné le Roi, de retour de la chasse, avec leurs deux enfants. L’accueil des convives, assez échauffés par leurs agapes largement arrosées, avait été délirant. La Reine avait confié son fils à un officier suisse et le petit prince, tout sourire, avait fait le tour de la table, disposée en U, sans renverser un seul verre.

Annonce du drame

Quatre jours seulement plus tard, dans l’après-midi, une agitation fébrile s’empare du palais. Dans le parc, les feuilles des arbres prennent déjà leurs teintes d’automne. Alors qu’elle quitte Trianon parce que l’orage menace, la Reine est prévenue qu’un cortège de femmes marche sur Versailles au moment où tombent les premières gouttes. De son côté le Roi, qui était à la chasse, regagne en hâte le château.
Dès son arrivée, on sonne la générale. Les grilles, qui n’ont pas tourné sur leurs gonds depuis un siècle, sont fermées avec peine. Sur la place d’Armes, le régiment de Flandre, les gardes du corps et un bataillon de la garde nationale de Versailles se rangent en bataille, sans qu’une seule cartouche leur ait été distribuée.
Certains avaient conseillé au Roi de quitter Versailles pour gagner une ville de garnison où sa sécurité et celle de la famille royale pouvaient être garantie. Louis XVI avait tergiversé, selon son habitude : on part… puis on ne part pas. Cette valse hésitation s’était prolongée durant tout l’après-midi, jusqu’au moment où il ne fut plus possible de partir.
Il est fort peu probable que le jeune Dauphin ait eu connaissance des raisons de cette agitation, mais cette dernière n’a pu lui échapper : un départ de la famille royale pour la province ne s’effectuait pas sans de multiples préparatifs.

Une cohue bien préparée

Comme toutes ces journées révolutionnaires, celle-ci a été préparée avec soin par les véritables meneurs - occultes - de la révolution. Quelques braves femmes du peuple de Paris se sont laissées entraîner dans cette aventure : leur présence était nécessaire pour faire croire à un mouvement populaire. Mais ce n’était qu’un alibi.
L’essentiel du cortège est constitué d’un contingent de mégères de la lie parisienne et, surtout, d’hommes, dont beaucoup sont déguisés en femmes parce qu’on ne tirera pas sur des femmes, tandis que d’autres sont armés et traînent même des canons avec eux. Le noyau actif de toutes ces émeutes est formé d’un ramassis de vagabonds, dont un grand nombre sont étrangers, et de prisonniers échappés des prisons (ou qu’on en a fait échapper), tous largement rétribués, grâce notamment aux subsides du duc d’Orléans.
Le pain n’est qu’un prétexte commode. Bien des fois déjà, par le passé, de semblables périodes difficiles s’étaient présentées : elles n’avaient jamais amené de révolution. Le véritable objectif de cette journée est de ramener le Roi et sa famille à Paris, où ils seront prisonniers des émeutes à répétition organisées en sous-main par la faction qui veut détruire la religion (dont fait partie le duc d’Orléans, le propre cousin du Roi, lui-même manipulé par des amis ) et, dans ce but, détruire d’abord la monarchie. On s’est servi pour cela des tenants de la prétendue philosophie des Lumières, rassemblés dans les loges à des fins inavouables couvertes par le secret maçonnique.
Louis XIV avait bâti le château pour s’éloigner de Paris dont les émeutiers de la Fronde lui avaient laissé de mauvais souvenirs. Il y a bien quatre lieues du centre de Paris jusqu'à Versailles : il semblait difficile d’y entraîner les foules.

L’arrivée du cortège à Versailles

Quand l’immonde cortège arrive à Versailles, l’orage a déjà éclaté : il pleut à verse. Tous les participants sont mouillés jusqu’aux os. Ils pénétrent dans la salle des séances de l’assemblée et là les femmes n’hésitent pas à enlever leurs jupons pour les faire sécher, s’asseyant n’importe où, interpelant et invectivant les députés.
Après cet intermède débraillé, la salle est enfin évacuée et le cortège arrive devant le château dont l’accès est fermé. Tous ces émeutiers vont passer la nuit sur la place d’armes, en plein air, sous la petite pluie fine qui ne cesse de tomber.
Durant ce temps, Louis XVI a commis une bévue supplémentaire. Sur recommandation de La Fayette, lui-même franc-maçon notoire, arrivé bravement en dernier, il a l’inconscience de renvoyer le régiment de Flandre dans ses casernements et confie la garde du château aux gardes-françaises, ces mêmes gardes-françaises qui, peu auparavant s’étaient mutinés contre l’autorité royale. Quant à leur général, La Fayette (Gilles César), il estime qu’il n’y a désormais rien à craindre et… il va se coucher !

Le matin du 6 octobre

Le jeune Dauphin se réveille en sursaut à 5 heures du matin : le Roi est à son chevet et le prend dans ses bras pour remonter au premier étage.
Une porte s’était ouverte pour livrer passage à l’immonde cohue. Négligence ou trahison ? On ne sait au juste… Les émeutiers ont envahi le palais. En cet instant, ils lardent déjà de coups de pique le lit encore tiède de la Reine. Ils ne trouveront heureusement pas les passages discrets par lesquels on circulait à Versailles. En passant dans le salon de l’Œil-de-bœuf, l’enfant entend les hurlements de la foule et le heurt des haches sur les vantaux sculptés de la porte. Des appels à la mort contre la Reine retentissent.
Le calme revient : la garde nationale de Paris, venue avec La Fayette (enfin réveillé!), a chargé, dégageant les appartements et repoussant les assaillants vers la cour de Marbre.
La famille royale est maintenant rassemblée, indemne, dans la chambre d’apparat de Louis XIV. Louis Charles est monté debout sur une chaise et s’amuse à tirailler les cheveux de sa sœur, tout en protestant de temps à autre : Maman, j’ai faim !
La Reine ne peut que lui conseiller la patience.
Sous les fenêtres se presse une ignoble cohue de mégères, de filles aux seins nus, d’hommes débraillés, dont beaucoup sont habillés en femmes, le tout armé de piques, de fourches, de sabres, de lardoirs. Soudain une clameur s’élève : La Reine au balcon !
Prenant ses deux enfants en pleurs par la main, Marie-Antoinette apparaît au balcon. La foule proteste : Point d’enfants !
La Reine reconduit les deux enfants à l’intérieur et reparaît au balcon, où elle se tient droite, immobile, altière, sans un mot. Des femmes crient :Tire !… Tire !
Un homme, vêtu en garde national, la met en joue. Mais la Reine ne bronche pas. Le silence revient. C’est alors que La Fayette paraît aussi au balcon, s’incline et baise la main de la souveraine. Quelques vivats s’élèvent à l’adresse de la Reine. Le général prononce quelques mots incohérents qui font l’effet d’une gifle pour Marie-Antoinette : La Reine est fâchée de voir ce qu’elle voit devant ses yeux ; elle a été trompée ; elle promet qu’elle ne le sera plus. Elle promet d’être attachée au peuple comme Jésus-Christ à son Église.
À Paris !… À Paris ! hurle la foule.
Les larmes aux yeux, pâle d’humiliation et de colère, Marie-Antoinette regagne le salon et embrasse ses enfants : Nous sommes perdus, peut-être envoyés à la mort ; les rois prisonniers en sont bien près !

Le départ pour Paris

Il est 13h25 à l’horloge de la Cour de Marbre, qui restera bloquée à ce chiffre. La famille royale descend par un escalier dérobé afin déviter les flaques du sang des gardes du corps qui ont été massacrés, traverse la cour des cerfs et arrive jusqu’au vaste carrosse à six places qui attend. Le roi, la Reine, le Dauphin, Marie-Thérèse, le comte et la comtesse de Provence, ainsi que Madame de Tourzel, s’y entassent.
Au moment où la voiture s’ébranle, le petit prince sursaute : les troupes viennent de décharger en l’air leurs fusils.
La voiture est entourée par une ignoble cohue de mégères échevelées, avinées, arborant moult cocardes tricolores, hurlant : À la lanterne ! À bas la calotte !
Il faudra sept longues heures de calvaire pour parvenir à Paris. Les viragos du cortège braillent : Nous ramenons le boulanger, la boulangère et le petit mitron. Ils nous donneront du pain ou ils verront !
Mais il faut encore passer par l’Hôtel de Ville, y subir force harangues, paraître aux fenêtres à la lumière des flambeaux. Cette fois ce sont des vivats qui s’élèvent de la foule.

L’installation aux Tuileries

Il est 22h00 quand on arrive au vieux palais parisien, où tout est sens dessus dessous. On a chassé depuis le matin les centaines de locataires qu’au fil du temps on avait autorisés à s’installer dans ces locaux inutilisés. Les pièces sont pleines d’ouvriers avec leur matériel qui s’activent pour rendre les logements à peu près habitables. Il manque les meubles les plus nécessaires. Oh ! maman, comme tout est laid ici ! se lamente le Dauphin.
La porte de la chambre de l’héritier du trône ne ferme pas et Madame de Tourzel, qui n’ose pas se coucher dans ces conditions, passe toute la nuit au chevet de l’enfant royal.
Le lendemain matin, un sourd brouhaha s’élève du Carrousel. Le Dauphin prend peur : Maman, maman, est-ce qu’aujourd’hui sera encore comme hier ?
Mais non. Ce matin-là ce ne sont plus les hordes révolutionnaires manipulées en sous-main par des meneurs occultes. Aujourd’hui, 7 octobre 1789, c’est le vrai peuple de Paris, bon enfant, qui vient saluer et acclamer la famille royale : Vive le Roi ! Vive la Reine ! Vive Monseigneur le Dauphin !
Ce peuple parisien, bon enfant, mais un peu anxieux, croit qu'avec l'arrivée du Roi à Paris, tous les problèmes vont se régler comme par enchantement. Naïveté !
Louis Charles vient de faire connaissance avec son peuple : il a quatre ans six mois et dix jours.

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