LE SÉJOUR PARISIEN

L’époque

Poursuite de la conquête de l’Algérie

Elle est menée mollement, dans le souci de ne pas s’attirer l’hostilité de l’Angleterre. En 1833, la zone contrôlée par la France ne dépasse pas Bône.
Le 26 février 1834, Drouet d’Erlon, gouverneur général déjà âgé, traite avec un chef arabe, l’émir Abd el Kader. Le traité conclu fait de ce dernier le représentant des Arabes, négociant d’égal à égal avec les Français. Moyennant la reconnaissance d’une suzeraineté française, d’ailleurs plutôt théorique, il obtient le libre commerce de la poudre et des armes. En avril 1835, Abd el Kader rompt le traité et reprend les hostilités contre la France.
En mars 1836, le général Trézel est battu dans le défilé de la Macta, près d’Arzew. Mais peu après, le général Clauzel occupe Mascara et pousse jusqu’à Tlemcen. En juillet, Bugeaud bat une troupe arabe à Sickak. Le 21 novembre, Clauzel arrive devant Constantine : l’assaut échoue, de même qu’à El Kantara.

Bouillonnement de l’opinion

Des citoyens se regroupent dans des associations d’opposition. Telle est la Société des droits de l’homme qui proclame son intention de renverser le gouvernement. Dissoute, ses membres continuent à se réunir clandestinement, tant à Paris qu’en province. En juin 1835, une nouvelle société sécrète, Les Familles, dont le révolutionnaire Blanqui fait partie, est fondée à Paris.
Les journaux d’opposition se déchaînent. Certains petits organes hebdomadaires, tels le Charivari ou le Corsaire, rencontrent un vif succès.
En août 1835, le gouvernement se décide à museler un peu ce déversement de haine en déposant un projet de loi aggravant les mesures contre la presse (création de nouveaux délits de presse, augmentation du cautionnement, aggravation des amendes, obligation de soumettre tout dessin au préalable à l’autorité). La loi est votée et promulguée en septembre.
Le 30 avril 1834, Lammenais publie les «Paroles d’un croyant», que certains considèrent comme un pamphlet révolutionnaire. Le Pape condamne l’ouvrage quelques semaines plus tard par l’encyclique «Singulari vos».

Émeutes à répétition

En février 1834, le gouvernement dépose un projet de loi contre les associations divisées en sections de moins de vingt personnes. Le texte est adopté le 12 avril. Dès le lendemain, des barricades s’élèvent dans le Marais. Le 14 avril la troupe triomphe de l’émeute, mais un coup de feu tiré d’une des fenêtres d’un immeuble de la rue Transnonain entraîne en représailles le massacre de tous ses habitants. Daumier immortalisera ce sinistre épisode dans une lithographie célèbre.
Des troubles éclatent en même temps dans plusieurs villes de province : Marseille, Clermont-Ferrand, Grenoble. À Lunéville, on découvre un complot ourdi par huit sous-officiers. La répression est énergique.
Le 1er janvier 1835, les condamnés politiques internés au Mont-Saint-Michel sont graciés : ils accueillent cette nouvelle par des chansons injurieuses pour Orléans.
Le 12 juillet 1835, 21 accusés dans le procès des émeutiers s’évadent de Sainte-Pélagie, ce qui fait dire à l’opposition libérale, hilare : la révolution déserte.

Attentats

Les journaux d’opposition, tels le Corsaire et le Charivari, multiplient les appels au meurtre.
Le 28 juillet 1835, pour l’anniversaire des journées insurrectionnelles de juillet, Orléans doit parcourir les boulevards allant des Tuileries à la Bastille, pour revenir place Vendôme présider au défilé des troupes. La veille, la police a été avertie qu’un attentat se préparait, mais elle ne prend que d’insuffisantes mesures de sécurité.
Orléans quitte le palais le matin à 09h00, par un temps superbe et chaud. Il est entouré de ses fils, de Thiers, ministre de l’Intérieur, et de sa garde d’honneur sous les ordres du maréchal Mortier. Vers midi, le cortège se trouve à l’extrémité du Faubourg Saint-Martin, et il ne s’est encore rien passé.
Soudain, au niveau du numéro 42 du boulevard du Temple, éclate une terrible fusillade, partie d’une maison basse sise près du Jardin turc. Orléans et ses fils sont indemnes, mais on dénombre dix-huit morts, dont le maréchal Mortier. Orléans garde son sang-froid et poursuit sa route : une balle lui a effleuré le front, y laissant une trace de fumée.
C’est un dénommé Fieschi qui avait conçu et installé la machine infernale composée de 24 canons de fusil alignés sur un chassis incliné et partant tous en même temps. Fieschi n’est que l’exécutant. L’idée de l’attentat est de Morey, un bourrelier admirateur de Robespierre, et le bailleur de fonds se nomme Pépin, un épicier liquoriste. Ils seront tous trois condamnés à mort. Il y a deux autres comparses : Boireau, qui sera condamné à 20 ans de réclusion, et Bescher, qui sera acquitté.
À la suite de la découverte d’une fabrique clandestine de poudre, rue Lourcine, la police arrête aussi une partie des membres de la société secrète des Familles, dont Blanqui, l’homme qui passa plus de la moitié de sa vie en prison. Aussi, le 27 décembre, un dénommé Meunier, âgé de vingt-deux ans, tire un coup de feu sur Orléans, mais le manque.
Le 25 juin 1836, un jeune homme, Alibaud, tire un coup de feu sur Orléans qui franchissait le guichet du Louvre pour se rendre à Neuilly. La balle passe quelques centimètres au-dessus de la tête du pseudo-roi. Alibaud est condamné à mort et exécuté.

Un prétendant surprise

Louis Napoléon Bonaparte, officiellement neveu de l’empereur, décide de tenter sa chance contre un régime qu’il estime déliquescent. En 1831, il était déjà revenu en France avec sa mère, qui portait alors le nom de duchesse de Saint-Leu. Orléans lui avait à cette époque offert la pairie, mais Louis Napoléon ambitionnait le trône. Il était en contact avec les bonapartistes qui manifestèrent place Vendôme. Il dut alors se retirer à Arenenberg, dans le canton de Thurgovie, en Suisse, résidence habituelle de la reine Hortense. Il maintenait des contacts avec Talleyrand, La Fayette, certains généraux, les nostalgiques de l’Empire, et même les républicains.
Il prend contact avec le colonel Vaudroy, commandant le 4ème régiment d’artillerie, à Strasbourg : c’était dans ce régiment que Bonaparte, tout jeune sous-lieutenant, avait fait ses débuts. Il se fait acclamer, le matin du 30 octobre 1836, par les artilleurs. Mais la caserne du 46ème régiment d’infanterie refuse de lui ouvrir ses portes. Les conjurés ne tiennent que quelques heures. L’affaire échoue de façon lamentable.
Orléans décide de traiter cette affaire comme il l’a fait pour la folle équipée de la duchesse de Berry : par un mépris amusé. Il fait amener à Paris celui que, plus tard, Victor Hugo appellera Napoléon le Petit, pour le faire conduire de là à Lorient où, muni de quinze mille francs (or !), il est embarqué pour l’Amérique.
Les complices seront acquittés par la Cour de Colmar, à la grande joie de l’opposition.
Le 31 octobre, victime d’une épidémie de choléra, le comte d’Artois s’éteint au château de Grafenberg, à Göritz, alors en territoire autrichien (aujourd’hui Gorizia, à la frontière italo-slovène).

Mariage raté

Orléans veut affermir les liens entre la France et l’Autriche. Il envoie son fils aîné et héritier à Vienne, où il espère qu’il pourra épouser l’archiduchesse Thérèse, fille de l’archiduc Charles et nièce de l’empereur François I. Metternich, ministre tout puissant à Vienne, ne voit pas cette union d’un bon œil. Le prince repart pour Milan sans qu’aucune décision n’ait été prise. L’attentat commis contre Orléans par Alibaud mettra un point final, négatif, à ce projet, refus qu’Orléans reçut comme une giffle, mais dont les légitimistes, en France, se réjouirent hautement..

Louis Charles à Paris

Premier séjour à Nantes

On ignore comment s’est déroulé le voyage, à pied, du prince depuis Crossen jusqu’en France. L’itinéraire exact qu’il a emprunté nous est pareillement inconnu. Nous savons qu’il a quitté Crossen en juillet 1832, avec un très maigre viatique. On signale son arrivée à Strasbourg dans l’été de la même année. Or on peut estimer le trajet parcouru à 650 kilomètres au bas mot. Il paraît difficile que le prince ait pu franchir une telle distance dans ce laps de temps sans être aidé. Disposait-il d’aides dont nous n’avons pas connaissance ? A-t-il, plus simplement, trouvé en chemin quelques bonnes âmes qui l’ont aidé par simple charité ? Nul ne le sait.
Toujours est-il que, sitôt à Strasbourg, traversant toute la France en diagonale, il se rend à Nantes à l’invitation des milieux monarchistes de la région. Ils l’identifient parfaitement au fils de Louis XVI, mais ils estiment, horrifiés par ses idées tant religieuses que politiques, qu’il n’est pas le roi dont la France a besoin, oubliant qu’il ne leur appartient pas de choisir le roi mais à Dieu seul... Le prince est aussitôt prié de remonter dans la diligence et de regagner Strasbourg.

L’arrivée à Paris

Le prince séjourne momentanément en Suisse. On signale sa présence à Genève, d’où il est expulsé, ainsi qu’à Berne, où la police l’arrête. C’est l’ambassadeur d’Autriche, Louis Philippe comte de Bombelles, un émigré passé au service de l’empereur François I, qui obtient sa libération. Louis Charles part alors pour Paris, où il arrive le 26 mai 1836.
Il n’est alors qu’un miséreux. Logeant d’abord dans un hôtel très modeste, il doit bientôt le quitter et passe plusieurs nuits à la belle étoile. La famille Jeannot, qui tient une auberge au 17, boulevard de Ménilmontant, l’héberge enfin par charité.
Une correspondance s’était engagée auparavant entre le prince et un dénommé Albouys, ex-juge d’instruction à Cahors, démissionnaire en 1830. Le juge Albouys avait un frère, notaire à Paris, et c’est l’épouse de ce dernier qui vient chercher le prince chez les Jeannot pour l’installer à son domicile, rue de Buci, au Faubourg Saint-Germain.
Durant tout son séjour dans la capitale, il loge successivement chez plusieurs de ceux qui, l’ayant identifié, sont devenus ses fidèles. D’octobre à décembre 1833, il est chez Monsieur Morel de Saint-Didier, passage Sainte-Marie, rue du Bac ; de janvier à mars 1834, au domicile parisien de Monsieur et Madame Émile Marco de Saint-Hilaire, rue de la Chaussée d’Antin ; d’avril à juillet 1834, chez Monsieur Rigal, 29, rue des Postes. À la mi-juillet 1834, il part rejoindre sa famille en Saxe et arrive à Dresde le 5 août. De retour à Paris le 3 septembre, il s’installe chez Monsieur Juéry, quai de Béthune, jusqu’en décembre. Depuis le début de l’année 1835 jusqu’à juillet 1836, il se trouve chez Madame de Rambaud, 16, rue Richer, mis à part un bref séjour chez Monsieur de l’Aubépin, rue Saint-Guillaume, dans le faubourg Saint-Germain. Il fait un court voyage en Suisse en 1836.

Louis XVII est identifié à «Naundorf»

Le prince, sitôt arrivé à Paris, demande à rencontrer des personnes ayant vécu à son époque à la Cour de Louis XVI. Cette démarche est remarquable sous deux aspects :
D’une part, Louis Charles est le seul prétendant qui ait souhaité cette confrontation. Les autres ont dû la subir, lui l’a demandée.
D’autre part, il faut noter que les personnes en question avaient déjà été maintes fois mises en présence de personnages qui se prétendaient fils du feu Roi et qu’ils n’avaient eu aucune peine à démasquer. Ils en étaient excédés et lorsque Louis Charles demande à les rencontrer, ils n’acceptent que dans l’intention spontanée de confondre un imposteur de plus.
Il fut identifié au total par une cinquantaine de personnes qui, toutes, maintinrent par la suite, malgré les difficultés, voire les persécutions, qu’elles avaient bien reconnu en Naundorf le fils de Louis XVI.

Voici les principaux personnages qui l’ont identifié :

Madame la comtesse de Falloux, née de Soucy, compagne des jeux du jeune prince ;
Madame la comtesse de Béarn, née Pauline de Tourzel, elle aussi compagne d'enfance ;
Monsieur le comte de Crouy, attaché à la Cour ;
Madame de Forbin-Jeanson, dame de la Reine ;
Le prince Armand de Polignac, attaché à la Cour ;
Monsieur Jacques Cazotte, page du Roi ;
Monsieur Joseph Paulin, maçon du Temple, auquel Naundorf rappelle un petit travail effectué par lui-même au deuxième étage occupé par Louis XVI et son fils, ainsi qu'une remontrance adressée au Dauphin qui jouait avec les outils pouvant le blesser ;
Madame Delmas, nourrice du duc de Berry ;
Le marquis de la Roche-Aymon, pair de France, attaché à la Cour ;
Monsieur Bulot, lampiste du Temple ;
Le marquis de la Feuillade, page du Roi ;
Madame la marquise de Broglio-Solari, dame de la Reine ;
Monsieur Brémond, secrétaire particulier de Louis XVI, à qui Naundorf rappelle le souvenir du dépôt fait aux Tuileries par Louis XVI en présence du Dauphin. Cité comme témoin à la requête de la «justice» de l'usurpateur Orléans, il déposa en faveur de Naundorf devant le tribunal de Vevey (Suisse) et affirma avoir identifié en cet homme le fils du feu Roi dont il était le secrétaire particulier ;
Monsieur de Joly, ministre de la Justice de Louis XVI, qui le prend d'abord avec force pour un imposteur et lui pose une question à laquelle l'ex-Dauphin seul peut répondre. Il doit reconnaître l'exactitude de la réponse et devient dès lors l'un des meilleurs défenseurs de Louis XVII ;
Madame Marco de Saint-Hilaire, dame de Madame Victoire, tante de Louis XVI ;
Monsieur Marco de Saint-Hilaire, huissier de la chambre de Louis XVI, auquel Naundorf indique des particularités du château de Trianon qui n'existent plus depuis la révolution, et jusqu'à la couleur des instruments de musique de sa mère ;
Madame de Rambaud, berceuse et femme de chambre ordinaire de Monseigneur le Dauphin. Elle ne l'a jamais quitté depuis sa naissance jusqu'au 10 août 1792. Elle a remarqué les signes physiques et inimitables du Dauphin et les a retrouvés sur le corps de Naundorf ;
Madame de Saint-Brice, femme de chambre ordinaire de Monseigneur le Dauphin.
On peut noter ce point important : les personnes qui ont identifié formellement Louis XVII en Naundorf ne sont pas uniquement des familiers de l’ancienne Cour, mais aussi des membres du personnel du Temple. Ces personnes ont été convaincues essentiellement par deux séries de faits : les signes corporels caractéristiques et les souvenirs du prince. Ils ont tous précisé aussi qu’ils étaient absolument certains de cette identité.

Les signes caractéristiques :

Plusieurs types de critères entraînèrent la conviction de ceux qui reconnurent Louis XVII en Naundorf et qui ne se rétractèrent jamais, malgré les persécutions exercées sur eux par les pouvoirs publics successifs.

1°) - Les signes de naissance :

Ils sont de deux sortes:
Les uns sont des caractéristiques familiales : la coloration rosâtre des paupières et la conformation de l'arc dentaire (incisives plantées en ligne et non en arc). Ce sont des signes génétiques, qui se retrouvent identiques chez Madame Royale.
Les autres sont individuels: excroissance du lobe de l'oreille droite, plissure du cou, excroissance en forme de fraise juste en-dessous du sein droit, tache de naissance (naevus maternus), appelée vulgairement tache de vin, en forme de pigeon plongeant la tête en bas et ailes déployées sur la face interne de la cuisse gauche, forme de la tête, couleur bleue des yeux, écartement des yeux de la longueur d'un oeil.

Ces signes se sont retrouvés sur Naundorf de son vivant, ou ont été notés lors de l'examen post mortem effectué à Delft. Là, on trouva notamment le naevus maternus, mais non l'excroissance au sein droit, qui se présente néanmoins chez son arrière-petit-fils, le prince Charles Edmond.
Ceci à une époque où la chirurgie esthétique n'existait pas.

2°) - Les cicatrices :

Elles sont nombreuses: morsure de lapin, marques d'inoculation, cicatrices laissées par les attentats, etc.
Lors de l'examen du corps après son décès par les médecins néerlandais, bon nombre de ces marques furent retrouvées.
Il faut noter toutefois que toutes les cicatrices qu'un être humain peut enregistrer au cours de sa vie ne perdurent pas toujours : il en est qui s'effacent plus ou moins complètement. Nous avons pu le constater sur nous-mêmes et sur nos proches.
Il est possible que deux individus n’ayant rien en commun présentent chacun une cicatrice à peu près identique. Mais dans le cas présent, il s’agit d’un ensemble de cicatrices dont il est certain que Louis XVII les portait et qui se retrouvent identiques sur Naundorf. La preuve qu’il s’agit bien d’un seul et même personnage est alors irréfutable.

Retenons cependant deux types de cicatrices qui prennent un caractère probant.

Louis XVII a été inoculé contre la petite vérole (nom de la variole à l'époque) aux deux bras avec un instrument qui était à l'usage exclusif des Enfants de France et laissait une cicatrice de trois pointes placées en forme de triangle dont le sommet était dirigé vers le haut. Aucune marque de ce genre n'a été notée lors de l'autopsie pratiquée sur l'enfant mort au Temple le 8 juin 1795, alors que les médecins renommés qui l'ont pratiquée savaient fort bien que seul le fils de Louis XVI pouvait porter cette cicatrice. Elles furent en revanche signalées par les médecins lors de l'examen pratiqué à Delft sur la dépouille de Naundorf, seulement au bras gauche cependant (mais les praticiens ont noté que le cadavre était déjà gonflé par les gaz), et bien en forme de triangle la base en bas (et donc le sommet vers le haut).

Enfant, le Dauphin avait été mordu aux Tuileries par un lapin apprivoisé avec lequel il jouait. On a discuté à l'infini pour savoir si la cicatrice de cette morsure se situait à la lèvre supérieure (ce qui aurait d'ailleurs pu être grave) ou inférieure. En réalité, l'Observateur du 11 mars 1790 nous révèle qu'il fut mordu à la main. A Delft, les médecins ont noté la cicatrice, au petit doigt de la main droite. Ils ont trouvé aussi d’ailleurs une petite cicatrice à la lèvre supérieure.
Mais on a parlé aussi d’une morsure à la lèvre supérieure provoquée par un lapin apprivoisé que le petit duc de Normandie avait trop serré à Trianon après l’avoir retrouvé (et donc au plus tard avant le 4 juin 1789, date à laquelle il est devenu le Dauphin de France). Ce fait ressemble tellement à celui qui se passe aux Tuileries en 1790 qu’on peut à juste titre se demander s’il n’y a pas confusion. Il faut néanmoins observer que tous les auteurs parlent d'une morsure de lapin à la lèvre, sans être d'accord sur quelle lèvre. Ce qui paraît plus sérieux, c'est que deux cicatrices ayant pu résulter de telles morsures furent retrouvées sur le corps de Naundorf lors de l'examen post mortem à Delft: l'une à la lèvre supérieure, l'autre à la partie supérieure du petit doigt de la main droite.

Les souvenirs

On peut à peu près tout imiter d'un être humain: son apparence, sa démarche, son écriture, sa signature, sa voix, sa façon de parler, son comportement, ses tics, bref tout, sauf une chose : ce qu'il a dans la tête.
On ne peut pas créer un double de son savoir ni du contenu de sa mémoire.
Outre les caractéristiques physiques que nous avons passées en revue, ce qui a été convaincant, déterminant pour les anciens serviteurs de la monarchie - et pour nous ! -, c'est que Naundorf a évoqué de nombreux souvenirs, de façon très précise, sans erreur ni hésitation (constructions de Trianon qui furent démolies après la mort de Louis XVI, forme et couleur du mobilier et des instruments de musique de la Reine), redressé des faits présentés de façon intentionnellement falsifiée (costume bleu présenté par Madame de Rambaud), et même qu'il a rappelé au souvenir de certains des faits anciens enregistrés dans leur mémoire (coups de pied dans le tas de feuilles au matin du 10 août, alors qu’il donnait la main à Monsieur de Joly pour se rendre à l’Assemblée : ce détail a même rappelé à l’ancien ministre une phrase prémonitoire prononcée alors par le Roi et que l’enfant n’avait pas entendue : Les feuilles tombent tôt cette année.

BIBLIOGRAPHIE : Les illustrations Madame de Rambaud et Naundorf vers 1835 proviennent du livre de Petrie. Les autres sont extraites de la collection Histoire de la France et des Français au jour le jour d'André Castelot et Alain Decaux