LA MORT DU ROI
Il ne sécoule que six semaines entre le transfert du Dauphin au troisième étage de la tour et lassassinat de Louis XVI. Durant ce temps, le souverain sera totalement isolé de sa famille.
Les événements
A létranger, on remarque le 7 décembre une manifestation à Bruxelles en faveur de lindépendance de la Belgique, que larmée française réprime sans douceur. Dautre part, la flotte française - ou du moins ce quil en reste, la plupart des officiers, tous nobles, ayant émigré et les bâtiments nétant plus entretenus - se présente le 17 décembre devant Naples et oblige Ferdinand IV à accepter les exigences francaises.
A Londres, le 13 décembre, les Communes et la Chambre des Lords soutiennent Pitt et son gouvernement dans ses préparatifs de guerre contre la France. Dautre part, lEspagne fait savoir le 28 décembre que sa neutralité dépend du sort réservé au Roi.
Enfin, le 13 janvier, à Rome, lambassadeur de France, Hugon de Bassville, est assassiné par une foule hostile aux idées révolutionnaires.
Sur le plan intérieur, on note le 14 décembre lémission de trois cents millions dassignats.
Le 11 janvier se déroule une manifestation en faveur du Roi à Rouen. Une autre manifestation en faveur de Louis XVI se déclenche à Paris à la Comédie Française - appelée alors Théâtre de la Nation - à loccasion de la représentation de la pièce de Laya, LAmi des lois.
Dans la nuit de Noël, des messes de minuit sont célébrées à Paris en dépit de linterdiction édictée par la Commune.
Isolement du Roi
Le Roi demande à plusieurs reprises la possibilité de voir sa famille. Après discussion entre lAssemblée et la Commune, il est décidé de lautoriser à voir ses enfants, à condition quil leur soit interdit de communiquer avec leur mère et avec leur tante jusquau jugement définitif.
Le malheureux père dit à Cléry : Vous voyez la cruelle alternative où ils viennent de me placer ; je ne puis me résoudre à avoir mes enfants avec moi ; pour ma fille, cela est impossible ; et pour mon fils, je sens tout le chagrin que la Reine en éprouverait. Il faut donc consentir à ce nouveau sacrifice.
Cléry fait alors transporter le lit du Dauphin au troisième étage, mais conserve le linge de l'enfant.
Correspondance secrète
La nécessité rendant ingénieux, Madame Élisabeth a donc lidée décrire à son frère un petit billet tracé avec des trous dépingle, quelle glisse dans sa serviette. Étant donné quil doit préparer son procès, Louis XVI a obtenu des commissaires de pouvoir disposer de papier et dencre. Il écrit donc en réponse à sa sur un billet quil confie à Cléry. Celui-ci le transmet au fidèle Turgy, ancien valet de chambre de Louis XVI. Ce dernier, enfin, apporte le papier dans un peloton de fil quil jette sous un lit dun geste preste.
La communication est ainsi rétablie entre les deux étages du donjon. Mais ce nest pas sans risques. Cléry met alors au point un procédé plus sûr.
Les commissaires lui fournissaient les bougies nécessaires en paquets ficelés. Il en confectionne une cordelette assez longue quil remet à Turgy. Celui-ci la confie à Madame Élisabeth. La fenêtre de la princesse se trouvait en effet au-dessus du corridor qui menait de la chambre de son frère à la garde-robe. Les hottes des abat-jour empêchent que les papiers ne soient aperçus ou tombent dans le jardin. Le Roi attend huit heures du soir pour effectuer cet échange de billets : à cette heure, en hiver, il fait en effet nuit. Pendant que Louis XVI se tient dans le corridor, Cléry distrait lattention des municipaux.
Par son épouse, Cléry arrivait à obtenir de son côté quelques nouvelles de lextérieur.
Persécutions mesquines
Tous les instruments tranchants avaient été retirés à la famille royale. Au troisième étage, les trois femmes demandent que lon mette à leur disposition des ciseaux pour se couper les ongles.
Le Roi, pour sa part, sest vu confisquer ses rasoirs et se trouve contraint de laisser pousser la barbe : habitué à se raser lui-même, il refuse de se faire raser. Cet ornement pileux auquel il nest pas habitué lui cause dincessantes démangeaisons quil essaye de calmer par des applications fréquentes deau froide. Cléry lui ayant fait observer que, sil se présentait dans cet état à la Convention, lassemblée et le peuple constateraient de quelle façon il était traité par la Commune. Louis XVI ne veut pas jouer sur la compassion. Il se résout donc à charger Cléry de demander un rasoir aux commissaires.
Ces graves (!) questions font lobjet dinterminables débats au conseil du Temple, qui accorde enfin les objets demandés, sous réserve que le Roi se rase en présence des commissaires.
Noël se passe sans que la famille puisse se réunir. Louis XVI consacre cette journée à la rédaction de son testament. Le 1er janvier, un commissaire accepte de présenter les vux du Roi aux siens. Il revient en lui rapportant les remerciements de Marie-Antoinette qui y avait ajouté ses propres vux. Quel jour de nouvelle année ! soupire le Roi.
Les soins médicaux sont chichement mesurés. Tout ce qui peut contribuer à mettre des personnes venues de lextérieur en contact avec la famille royale est systématiquement refusé par les commissaires, ou nest accordé quen raison dune impérieuse nécessité et sous des conditions souvent tatillonnes et humiliantes.
Louis XVI ayant une fluxion à la joue demande que lui soient prodigués les soins dun dentiste. Cette intervention lui est refusée sous prétexte quil sagit dune indisposition bénigne.
De son côté, au troisième étage, Marie-Thérèse souffre dune «incommodité grave» au pied. La Reine demande à réitérées reprises lintervention du docteur Brunyer, médecins des Enfants de France depuis 1778, année de la naissance de Madame Royale : il connaît donc fort bien ses jeunes patients. Ce nest que le 13 janvier que la Commune accorda cette faveur, et encore sous réserve quil ne parle à Marie-Antoinette quen présence des commissaires. Elle décide en outre que les apothicaires seront tenus de déguster au préalable les médicaments qui pourront être prescrits.
Les adieux
Il était alors coutume que les marchands de journaux crient les nouvelles dans la rue. Le commissaire Toulan avait payé lun deux, doué dune voix de stentor, pour lancer le résumé de sa gazette rue de la Corderie, non loin de la tour.
Le dimanche 20 janvier, Marie-Antoinette et les siens entendent cette voix amie annoncer lissue du procès : La Convention nationale décrète que Louis Capet subira la peine de mort
. Lexécution aura lieu dans les vingt-quatre heures à compter de sa notification au prisonnier. Toute la journée se passe dans langoisse.
A 20h30, un commissaire vient les chercher : la Convention avait autorisé le Roi à revoir sa famille. Cette entrevue se déroule non dans la chambre de Louis XVI, ainsi que celui-ci lavait demandé, mais dans la salle à manger. La porte en est fermée puisque la Convention a accepté que le Roi voie les siens sans témoin, mais la cloison vitrée permet aux commissaires de surveiller ce qui se passe. Par discrétion, Cléry se retire lui aussi. Labbé Edgeworth de Firmont, venu assister le condamné, demeure dans le cabinet du Roi, ce dernier craignant que sa vue émeuve les siens.
La Reine paraît en premier, tenant son fils par la main. Les deux princesses suivent. Pendant quelque temps, ce ne sont que cris et sanglots. Puis le Roi sassied, avec la Reine à sa gauche et Madame Élisabeth à sa droite. Marie-Thérèse leur fait face. Le Dauphin se tient debout entre les jambes de son père et lui baise les mains, le Roi lui caressant de temps à autre ses cheveux blonds qui tombent en frange sur son front.
Le seul récit que nous ayons de cette scène se trouve dans le Mémoire de Marie Thérèse Charlotte de France. Le texte en est, comme dhabitude dans ce récit, sans fioritures, mais rapporte lessentiel : Nous courûmes chez lui et nous le trouvâmes bien changé ; il pleura de notre douleur, mais non de sa mort. Il raconta à ma mère son procès excusant les scélérats qui le faisaient mourir, répéta à ma mère quon voulait des assemblées primaires ; mais quil ne le voulait pas parce que cela mettrait le trouble dans la France. Il donna ensuite de bonnes instructions religieuses à mon frère. Il lui recommanda surtout de pardonner à ceux qui le faisaient mourir. Il donna sa bénédiction à mon frère et à moi.
Lentrevue dura une heure trois quarts. La Reine voulait demeurer jusquau matin, mais Louis XVI sy opposa, prétextant quil avait besoin de se recueillir. Marie-Antoinette lui fit promettre quils se reverraient le lendemain matin à sept heures.
Louis Charles devient Louis XVII
Après avoir couché son fils, Marie-Antoinette sétait allongée tout habillée sur son lit. Elle demeure toute la nuit sans fermer lil, tremblant de froid et de douleur. À 06h00, la Reine se lève, espérant revoir une dernière fois son mari : en vain. Presque au même moment, la porte de lappartement souvre avec fracas : un commissaire vient demander le missel de Madame Élisabeth pour que le Roi puisse suivre sa dernière messe. Ceci fait, la porte se referme tout aussi bruyamment.
Il est maintenant près de sept heures. Le jour commence à poindre par ce matin du lundi 21 janvier 1793. Les tambours battent dans toutes les sections de Paris. Vers 09h00, cent tambours réunis au Temple se mettent à battre : ils accompagnent la voiture où ont pris place Louis XVI et labbé de Firmont, laquelle quitte la prison.
A dix heures, la porte de lappartement du troisième étage souvre de nouveau. Turgy apporte le déjeuner. La Reine veut forcer le Dauphin à manger, mais lenfant, qui vient de se réveiller, refuse : il ne peut rien avaler.
Soudain, à 10h30 des salves dartillerie tonnent au loin. Dans la cour du Temple, sentinelles et patriotes crient Vive la nation ! Vive la république ! Louis XVI vient dêtre assassiné.
La Reine étouffe de douleur, Louis Charles fond en larmes, Marie-Thérèse jette des cris perçants, tellement perçants même que certains à Paris croient que la fille de Louis Capet est morte
Mais, en France, le Roi ne meurt pas. Le Roi est mort ! Vive le Roi ! tel est le cri traditionnel qui annonce le décès dun souverain, auquel son héritier succède sans transition. Le personnage physique est mortel, comme tout homme ; le principe monarchique est éternel.
Le premier moment de douleur passé, Marie-Antoinette se reprend. Elle va sagenouiller devant son fils et le salue du titre de Roi : Louis Charles est devenu Louis XVII. Et toutes les simagrées des révolutionnaires ny peuvent rien, et ny peuvent toujours rien !
Désormais, lenfant sera traité en Roi au sein de sa famille. Dans son exil, Provence lance des lettres patentes et une lettre aux émigrés, datées du 28 janvier de lan 1793, et du règne du Roi, le premier. En Vendée, les armées catholiques et royales proclament Louis XVII. LAngleterre, lAutriche, la Prusse, lEspagne et même les Etats-Unis reconnaissent le jeune souverain. En Russie, Catherine II lance un ukase frappant de banissement de ses états tout sujet français qui ne prête pas serment de fidélité et dobéissance au Roi Louis XVII.
Les réactions de Louis Charles
Il vit ces six semaines dans une atmosphère dangoisse. Marie-Antoinette et Madame Élisabeth sefforcent bien entendu de lui cacher la peur qui les tenaille. Mais y parviennent-elles vraiment ? Cest douteux. Dune part, parce que les événements ne leur laissent guère de répit et, dautre part, parce que le jeune prince va sur ses huit ans, quil est sensible par nature et intelligent.
Il est vraisemblable quil ne se rend pas compte du danger exact que court son père. Louis XVI, on le sait, ne se faisait aucune illusion sur le sort qui lattendait, mais il a tout fait pour ne pas communiquer cette certitude à sa famille, gardant jusquà lultime moment un air de totale sérénité, une sérénité quil devait à sa foi profonde.
Louis Charles, depuis léclatement de la révolution a déjà connu des moments de frayeur intense. Il sagissait alors dévénements brutaux, mais dune durée - relativement ! - courte. Et dautre part, il les avait vécus au sein de sa famille. Si son père ou sa mère, ou les deux ensemble, avaient été directement menacés, du moins étaient-ils au milieu des leurs.
Cette fois, le sentiment ressenti est différent. Cest une atmosphère lourde, contrainte, qui se perpétue au fil des jours. Qui plus est, son père, dont le sort se joue à la Convention, demeure totalement séparé des siens.
Le 20 janvier au soir, cest brutalement lhorreur : son père va mourir de la main des révolutionnaires. La scène des adieux est un cauchemar et lon comprend que Louis XVI ait voulu, sur les conseils aussi de labbé de Firmont, en épargner le renouvellement le lendemain matin tant à sa famille quà lui-même. Le petit prince est éperdu de douleur.
Et cest à ce moment que Marie-Antoinette sagenouille devant son fils et le salue en qualité de Roi. Il est devenu Louis XVII !
Son avènement ne se déroule pas bien sûr dans le faste de Reims, mais dans le sinistre donjon du Temple. Mais il ne proteste pas et sa réponse à sa mère le prouve : Hélas ! , Madame, je ne suis Roi que pour vous ! . Quelle en dit long, cette simple phrase ! Louis sait quil est Roi de France, et il laccepte, comme quelque chose qui devait nécessairement arriver un jour, quil nespérait bien sûr pas si proche. Et il le saura toute sa vie !
Comment certains ont-ils pu suggérer que ce petit Roi qui, il ny a pas si longtemps, signait fièrement ses devoirs Louis Dauphin ait jamais pu être dégoûté du métier de roi ? Ce métier, il le porte en lui, depuis sa naissance, et il en a parfaite conscience. Il nabdiquera jamais, malgré ladversité.
Lors des adieux, Louis XVI lui a fait promettre de ne jamais chercher à venger sa mort. Il le lui a fait jurer, et a même voulu quil répète son serment. Marie-Antoinette lui réitéra cette ultime instruction de son père le 3 juillet 1793, juste au moment où elle voit son fils pour la dernière fois.
A-t-il bien saisi ce qui lui était demandé, et même commandé ? De tels serments, prêtés dans des moments démotion aussi intense, dans une atmosphère aussi dramatique, sans avoir le temps de réfléchir, par des personnes aussi jeunes, ont-ils réellement un sens ? Dans un cas comme dans lautre, Louis Charles était totalement bouleversé, hors de lui-même.
Pour notre part, nous sommes tentés de répondre par la négative à ces questions. Il nous paraît impossible que Louis Charles ait réellement eu conscience des engagements quon lui faisait prendre ainsi.
En revanche, connaissant lextrême bonté - frisant même trop souvent la naïveté - dont il fera preuve par la suite en diverses circonstances, nous pensons quil aurait naturellement incliné au pardon, non pas en raison dune obéissance à un engagement quil avait sans doute oublié si tôt prononcé si même il en avait eu conscience, et que personne ne pouvait plus lui rappeler, mais par conviction personnelle intime et par sentiment chrétien.
Il avait sept ans neuf mois et vingt-cinq jours.
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Bibliographie
- Louis XVII, André Castelot, Perrin, 1968.
- Grandes heures de la révolution française, G. Lenotre & A. Castelot, Perrin, 1962,Tome II, La Mort du Roi.
- Madame Royale, ex Mémoire de Marie Thérèse Charlotte de France, Plon, Paris, 1956, pp 10-11.
- Procès de Louis XVI, ex L'Histoire de France au jour le jour, A. Castelot & A. Decaux, Laffont, Paris, 1972, 1792-1798.
- voir aussi les reproductions suivantes : Carna64 ; Carna65 ; DLC2 ; JPR158E ; PRD30 ; DJX44.et le site consacré à Louis XVI.
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