PERSECUTIONS POST MORTEM

Elles sont de deux sortes.
D'une part, des articles de presse en France donnèrent lieu à un procès en diffamation qui fut gagné par les descendants de Louis XVII.
D'autre part, d'innombrables livres sur Louis XVII (plusieurs centaines), sans compter les articles de revues diverses, ont paru en librairie depuis la restauration. Il convient de remarquer que la quasi-totalité de ces textes, même ceux qui sont favorables à la survivance, reprennent les mêmes affirmations, les mêmes raisonnements, les mêmes faits (vrais ou supposés), sans se préoccuper le moins du monde de procéder dans chaque cas à une analyse critique préalable. Il en résulte qu'en passant d'un auteur à l'autre, on a en définitive l'impression de relire le même texte, à quelques variantes près, même si leurs hypothèses sont en définitive divergentes. Il faut aussi y ajouter un certain nombre d'insinuations malveillantes visant à discréditer Naundorf.
Il faut reconnaître que, tant pour les partisans que pour les adversaires de la monarchie, l'intérêt de l'affaire Louis XVII est tel, aussi bien du point de vue hisorique que dans ses conséquences éventuelles, qu'aucun auteur ne peut avoir la prétention de demeurer totalement neutre sur un tel sujet.
Il existe en réalité une troisième sorte de persécution posthume de Louis XVII: l'utilisation perverse des découvertes de la science pour nier l'existence même du problème. Ce dernier aspect fera l'objet du prochain et dernier volet de notre étude par épisodes.

Le procès en diffamation de 1913

Les descendants de deux des fils de Louis XVII, Adelberth d'abord, Charles Edmond ensuite, qui étaient nés et domiciliés aux Pays-Bas, adressèrent chacun aux tribunaux néerlandais dont relevaient leurs domiciles respectifs une requête en rectification d'état civil visant à changer leur patronyme Naundorf, dit de Bourbon en de Bourbon.
Le tribunal de district de Bois-le-Duc, le 12 mars 1888, pour les descendants d'Adelberth, celui de Maastricht, le 20 mai 1891, pour ceux de Charles Edmond, accordèrent cette rectification qui fut dûment mentionnée sur les actes d'Etat civil correspondants.

Diffamation
Le droit de porter le patronyme de Bourbon fut contesté aux descendants du prince par un article paru dans le journal La Patrie, dans son numéro daté du 23 novembre 1911, sous le titre Noblesse d'estaminet et sous la signature d'Henri Rochefort.
Ce papier était diffamatoire et injurieux. Il assimilait les héritiers de Naundorf à des proxénètes et à des rabatteuses, les traitant de descendants d'un faux monnayeur, ajoutant qu'ils portaient un nom autre que celui figurant sur leur acte de naissance et qu'ils n'avaient pas droit au nom de Bourbon.
Les offensés, les princes Louis Charles et Henri Charles Louis de Bourbon, saisirent le Tribunal correctionnel de la Seine en assignant le journal La Patrie, son gérant Cochot et le journaliste Rochefort en dommages et intérêts.

Récidive du journaliste
Dans son numéro du 30 novembre 1911, La Patrie récidiva en publiant un nouvel article d'Henri Rochefort sous le titre Un procès amusant. L'article commence par ces mots : L'effronterie ne connaît plus de bornes… Il se termine ainsi : …pour m'avoir adressé une citation au nom d'un individu qui n'existe pas. Dans le corps de l'article, on trouve le texte suivant : …Or, ce Louis de Bourbon est le decendant direct de l'imposteur Naundorf, juif allemand, condamné de droit commun pour des méfaits auxquels la politique est complètement étrangère. Cette citation en justice est d'autant plus nulle et non avenue que le plaignant y prend un faux nom...

Nature réelle du procès
Au-delà de l'intention délibérément injurieuse et diffamatoire, qui est évidente dans cet article de La Patrie, il s'agit en fait de bien autre chose. Il faut nier, envers et contre tout, que Louis XVII a survécu et qu'il a laissé une descendance dynaste.
Bien entendu, comme dans les jugements que nous avons examinés, la justice s'en tiendra à l'aspect purement formel d'un procès en diffamation, écartant avec soin dans ses attendus toute allusion à des faits historiques.

Les diffamateurs
Victor Henri marquis de Rochefort-Luçay naquit à Paris en 1830 et mourut à Aix-les-Bains en 1913. Connu sous le nom de plume d'Henri Rochefort, après avoir été fonctionnaire, il se consacra au journalisme, en opposition constante avec les régimes successifs en place. Il fonda plusieurs journaux dans lesquels il éditait sa prose mordante, dont La Lanterne sous le Second Empire ("La France compte, dit-on, 36 millions de sujets…sans compter les sujets de mécontentement").
Ce personnage était donc bien placé pour lancer une attaque virulente contre les princes de Bourbon.
Reste à savoir pour le compte de qui…?
La Patrie était un quotidien, fondé en 1841. Ses propriétaires successifs lui inculquèrent des orientations variables : oppositionnelle au départ, conservatrice à partir de 1844, gouvernementale après septembre 1870, bonapartiste, plébiscitaire et boulangiste à partir de 1872, elle devint nationaliste en 1894.

Le verdict
Le journaliste étant décédé entre-temps, les juges se bornèrent à condamner Léon Cochot, gérant du journal, et le quotidien La Patrie.
Ils s'appuyèrent pour cela sur deux dispositions du Code Civil:
1/ - L'article 1 de la loi du 6 fructidor an II qui précise que : aucun citoyen ne pourra porter de nom ni de prénoms autres que ceux exprimés dans son acte de naissance....
2/ - L'article 47 du Code Civil qui stipule que: Tout acte de l'état civil des français et des étrangers, fait en pays étranger, fera foi, s'il a été rédigé dans les formes usitées dans ledit pays.
 
Les plaignants avaient en effet fourni la preuve que les décisions susmentionnées des tribunaux néerlandais avaient modifié le nom, qui était primitivement Naundorf, dit de Bourbon, en de Bourbon. Le tribunal précise qu'une telle décision s'appliquait de plein droit en France, sans avoir besoin d'être soumise à la formalité de l'exequatur. (L'exequatur est la décision par laquelle un tribunal rend exécutoire sur le territoire national un jugement ou un acte étranger)
Le jugement définitif du 26 novembre 1913 a été reproduit in extenso dans la "Gazette du Palais" de 1914, pages 68 et suivantes. La presse rendit compte de ce jugement :
Extrait du journal Excelsior, numéro du 27 novembre 1913, Les Naundorf sont des Bourbons. Le tribunal a décidé hier qu'ils avaient le droit de porter ce nom. Dans la Gazette du Palais du 23 juillet, il est relaté que l'avocat du défendeur avait déclaré qu'en effet, les demandeurs avaient officiellement en Hollande (et le Tribunal juge qu'ils avaient ce même droit en France) le droit de porter le nom de de Bourbon, que la Hollande avait même reconnu la légitimité de leur père et grand-père comme étant Louis XVII.

Conséquences
Il résulte de ce jugement de 1913 que les descendants de Louis XVII ont le droit imprescriptible, en France comme ailleurs, de s'appeler de Bourbon. Ils n'ont pas le droit de porter un autre nom. Personne ne peut les désigner sous un autre nom. Le patronyme Naundorf a disparu.
Mais, bien plus, le droit de s'appeler de Bourbon leur est reconnu en raison du fait qu'ils étaient les descendants de Louis XVII, comme en font foi les jugements des tribunaux néerlandais produits par les plaignants devant le tribunal. Ce jugement de 1913 n'empêchera pas la Cour d'Appel, en 1954, donc 41 ans après la décision du Tribunal correctionnel de 1913, de maintenir la fiction - et nous disons bien la fiction - d'un Louis XVII décédé au Temple en 1795, à l'âge de dix ans, c'est-à-dire sans descendance...
Les tribunaux français ont ainsi créé une situation d'une totale absurdité. Nous sommes en plein délire juridique!

La foire aux aberrations

Les malveillances
À Brandebourg, Naundorf avait été condamné en première instance sur des éléments des plus douteux. Il avait naturellement fait appel de ce jugement et l'arrêt de la Cour l'exonéra de cette accusation non fondée et ne lui infligea une peine qu'en raison du fait qu'il s'était dit prince natif, ce qu'il n'avait pu prouver du fait de la confiscation de ses papiers d'origine par les autorités prussiennes.
Cet acquittement sur le fait de l'émission de fausse monnaie n'a jamais empêché ses adversaires de le qualifier de faux monnayeur, c'est-à-dire une pure diffamation.
Une autre insinuation visait à prétendre qu'il était issu d'une famille juive de Pologne. Cette origine fut avancée par le gouvernement français lui-même, du temps d'Orléans, soi-disant en vertu de documents qui lui avaient été fournis par le gouvernement prussien. En réponse à une demande d'éclaircissement de Naundorf en personne, le comte von Rochow, ministre de l'Intérieur de Prusse, lui répondit par une attestation formelle que le gouvernement prussien n'avait jamais formulé cette hypothèse et qu'il aurait d'ailleurs été bien en peine de le faire étant donné qu'il n'avait jamais trouvé en Prusse le moindre indice de son origine.
Les adversaires de Naundorf se sont toujours évertués, en vain, de lui trouver une origine autre que celle qu'il annonçait, et de préférence peu recommandable. On s'efforça donc pour l'essentiel de l'identifier à un certain Carl Benjamin Werg, natif de Halle, déserteur prussien, vivant en concubinage et on ne sait trop de quoi. C'était habile car la ville de Halle faisait partie du royaume de Prusse, ce qui faisait de Werg un citoyen prussien : c'était un moyen commode de dire que Naundorf était en réalité sujet prussien, alors que la ville de Weimar, dont les services spéciaux lui avaient dit de se déclarer originaire, faisait partie du Grand-Duché de Saxe-Weimar-Eisenach et, par conséquent, hors de la juridiction prussienne. Mais lors de l'exhumation de 1950, le docteur Hulst écarta formellement un âge supérieur à 60 ans pour le défunt, alors que Werg en aurait eu 68 en 1845, année du décès de Naundorf à Delft.

Les erreurs à répétition
Nous nous bornerons à énumérer ici quelques affirmations que les ennemis de la survivance ressassent de livre en livre et dont nous avons déjà, pour la plupart, souligné le caractère fallacieux. C'est qu'il est tellement moins fatiguant de répéter indéfiniment les mêmes calomnies que de se livrer à un vrai examen critique des faits, des personnages et des circonstances, même armé d'un simple bon sens.
1 - L'enfant qui a signé la déposition du 6 octobre 1793 et les deux confrontations du lendemain était saoûl ou drogué, voire saoûl et drogué. À cette interprétation s'opposent deux faits : d'abord la signature est identique sur la déposition du 26 octobre 1793, occasion où il n'y avait aucune raison de forcer l'enfant, ensuite un garçon traité de la sorte aurait été dans l'incapacité physique totale de seulement tenir une plume.
2 - La Reine guettait des heures durant pour apercevoir son fils. Nous avons déjà démontré l'impossibilité matérielle de cet argument.
3 - La duchesse d'Angoulême était Madame Royale. Les différences physiques et matérielles (telle l'écriture) entre les deux femmes, ainsi que dans leur comportement, étaient telles qu'elles rendent impossible toute identité de personne.
4 - On parle de Louis XVII - souvent appelé par erreur le Dauphin après la mort de son père - au Temple jusqu'en juin 1795. Aucun auteur ou presque ne se préoccupe de prouver qu'il s'agit bien de Louis XVII après le 3 juillet 1793, alors même qu'il a été scientifiquement prouvé que l'enfant mort le 8 juin 1795 n'était pas et ne pouvait en aucun cas être le petit Roi.
Ce ne sont là que quelques exemples. Ils montrent avec quel soin il faut, en étudiant l'histoire de Louis XVII, porter attention au moindre détail et l'analyser avec soin en s'armant d'une pincette dans une main et d'une grosse loupe dans l'autre.