PORTRAIT DU DAUPHIN,
tracé par Marie-Antoinette le 24 juillet 1789
à l'intention de Madame de Tourzel,
nommée gouvernante du prince
en remplacement de la duchesse de Polignac


Mon fils a quatre ans quatre mois moins deux jours ; je ne parle pas ni de sa taille ni de son extérieur, il n'y a qu'à le voir; sa santé a toujours été bonne, mais au berceau on s'est aperçu que ses nerfs étaient très délicats et que le moindre bruit extraordinaire faisait effet sur lui ; il a été tardif pour ses premières dents, mais elles sont venues sans maladie ni accident; ce n'est qu'aux dernières, et je crois que c'était la sixième, qu'à Fontainebleau il a eu une convulsion ; depuis il en a eu deux ; une dans l'hiver de 87 ou de 88 et l'autre à son inoculation, mais cette dernière a été très petite. La délicatesse de ses nerfs fait qu'un bruit auquel il n'est pas accoutumé lui fait toujours peur ; il a peur par exemple des chiens parce qu'il en a entendu aboyer près de lui. Je ne l'ai jamais forcé à en voir, parce que je crois qu'à mesure que sa raison viendra, ses craintes passeront ; il est, comme tous les enfants forts et bien portants, très étourdi, très léger et violent dans ses colères, mais il est bon enfant, très tendre et caressant même, quand son étourderie ne l'emporte pas ; il a un amour-propre démesuré qui en le conduisant bien peut tourner un jour à son avantage ; jusqu'à ce qu'il soit bien à son aise avec quelqu'un, il sait prendre sur lui et même dévorer ses impatiences et colères pour paraître doux et aimable ; il est d'une grande fidélité quand il a promis une chose, mais il est très indiscret, il répète aisément ce qu'il a entendu dire, et souvent sans vouloir mentir il y ajoute ce que son imagination lui a fait voir, c'est son plus grand défaut, et sur lequel il faut bien le corriger ; du reste, je le répète, il est bon enfant, et avec de la sensibilité et en même temps de la fermeté, sans être trop sévère, on fera de lui ce qu'on voudra, mais la sévérité le révolterait, car il a beaucoup de caractère pour son âge; et, pour en donner un exemple, dès sa plus petite enfance, le mot Pardon l'a toujours choqué ; il fera et dira tout ce qu'on voudra quand il a tort, mais le mot Pardon, il ne le prononce qu'avec des larmes et des peines infinies. On a toujours habitué mes enfants à avoir grande confiance en moi, et quand ils ont eu des torts, à me le dire eux-mêmes, cela fait qu'en les grondant j'ai l'air plus peinée et affligée de ce qu'ils ont fait que fâchée ; je les ai accoutumés tous à ce qu'un oui ou un non prononcé par moi est irrévocable, mais je leur donne toujours une raison à portée de leurs âges, pour qu'ils ne puissent pas croire que c'est humeur de ma part. Mon fils ne sait pas lire et apprend fort mal ; mais il est trop étourdi pour s'appliquer, il n'a aucune idée de hauteur dans la tête, et je désire fort que cela continue. Nos enfants apprennent toujours assez tôt ce qu'ils sont.
Il est né gai, il a besoin pour sa santé d'être beaucoup à l'air, et je crois qu'il vaut mieux le laisser jouer et travailler à la terre sur la terrasse que de le mener promener plus loin : l'exercice que les petits enfants prennent en courant et jouant à l'air est plus sain que de les forcer à marcher, ce qui souvent leur fatigue les reins.