EXPERIENCES AUX PAYS-BAS
Arrivée aux Pays-Bas
Le prince embarque sur le paquebot La Giraffe, mais le capitaine demeure 48h à l'ancre en vue des côtes néerlandaises. Ce n'est que le 25 janvier qu'il se met à quai à Rotterdam.
Entre-temps, le consul général des Pays-Bas à Londres, May, avait averti son gouvernement du passeport qu'il avait délivré au nom de Charles Louis de Bourbon. En conséquence, le directeur de la police de Rotterdam retire au prince ce document et refuse de le lui rendre sauf s'il retourne en Angleterre. Mais il se contente de le surveiller et ne l'empêche pas de s'installer à l'hôtel Sint-Lucas. Il n'est nullement question de l'expulser.
C'est un jurisconsulte, Maître Van Buren, qui débloque la situation. Il nous raconte ses démarches dans une déclaration qu'il rédigea le 27 mars 1873 :
Je fis une démarche en février 1845 auprès du directeur de la police de Rotterdam. Celui-ci m'apprit que Charles Louis de Bourbon était un personnage politique
Il était clair que le gouvernement hollandais était renseigné quant à sa personne et qu'à la demande ou dans l'intérêt d'une influence venant de l'étranger, on n'osait le laisser continuer sa route, ni le remettre en possession de son passeport, autrement qu'à la condition qu'il retournât en Angleterre. Je sais parfaitement que cette conduite douteuse et anxieuse du gouvernement néerlandais provenait de ce qu'il était bien instruit que Charles Louis de Bourbon était réellement celui qu'il disait être.
Ce texte est parfaitement clair et il est rédigé par l'homme qui, aux Pays-Bas, était le mieux renseigné sur cette affaire : il confirme bien que Naundorf était bien Louis XVII et que tous les gouvernements de l'époque en étaient parfaitement conscients, y compris, bien sûr, celui d'Orléans qui se cache derrière l'expression transparente d'une influence venue de l'étranger.
Les contacts avec les autorités militaires néerlandaises
Louis est venu aux Pays-Bas pour y présenter ses inventions pyrotechniques et les vendre. Sur ce point aussi, l'assistance de Maître Van Buren va lui être de la plus grande utilité. Reprenons le témoignage de ce dernier :
Comme je m'en étais déjà avisé, on pouvait utiliser pour ma patrie les inventions pyrotechniques très importantes de Charles-Louis appliquées à des projectiles, des fusées, des mines, des fils télégraphiques, à l'amélioration des armes à feu, et à plusieurs autres importants moyens de défense. Je confiai cette découverte au gouverneur de l'Académie militaire à Breda, qui reconnut l'importance des inventions, si elles étaient fondées. Je proposai à l'ingénieux étranger de se rendre avec moi à Breda et de présenter ses problèmes, sans en révéler les secrets, ce qu'il accepta. Réciproquement, je fis la même proposition au Colonel, gouverneur de l'Académie, qui se montra disposé à en recevoir les communications.
Ce premier contact est donc pris avec le gouverneur de l'Académie militaire de Breda, le colonel H.G.Seelig. Convaincu d'avoir à faire à un homme de valeur et non à un aventurier, le colonel convoque son état-major qui se compose d'un major d'artillerie, de deux capitaines d'artillerie et du génie, d'un capitaine de marine et de deux lieutenants. Des démarches sont effectuées aussitôt après au niveau gouvernemental et les ministères de la Marine et de la Guerre décident de procéder à des expériences sur les inventions proposées.
Le prince s'installe donc enfin à Delft, où existe une école d'artillerie et où toutes les conditions sont réunies pour qu'il puisse mener à bien ses travaux. Sur demande du gouvernement néerlandais, Maître Van Buren s'engage à financer le prince tant en ce qui concerne ses dépenses personnelles que ses expériences, avec garantie de remboursement : le total de ses avances se montera à 80.000 francs (or). Les essais se déroulent en présence de hautes autorités militaires et rapport en est dressé, dont voici la teneur :
Rapport de la Commission de l'Académie Militaire sur les inventions de Charles Louis de Bourbon
Les soussignés, officiers de l'armée néerlandaise, certifient que Mr. de Bourbon leur a demandé d'examiner quelques-unes de ses inventions pyrotechniques, consistant suivant son exposé dans les objets suivants :
De pouvoir diminuer ou même de pouvoir détruire entièrement le recul des canons et fusils.
La confection de fusées de guerre se dirigeant plus exactement que les fusées ordinaires et garnies d'une composition qui éclate au moment où la fusée touche le sol.
Une méthode de diriger les bombes et obus tirés de bouches à feu ordinaires de manière à éclater en touchant le but.
Une composition de matière explosive, beaucoup plus énergique que la poudre à canon, servant à charger les bombes et les grenades, et pouvant être employée tant pour les mines ordinaires que pour les mines sous l'eau.
Ces diverses inventions nous paraissant à être de nature à recevoir une application utile à la guerre, nous avons engagé Mr. de Bourbon à nous mettre en état de pouvoir juger jusqu'à quel point ses prétentions sont fondées. Ayant à cet effet fourni les moyens nécessaires Mr. de Bourbon a fait en notre présence les expériences suivantes :
Un fusil de rempart ordinaire, du calibre d'un huitième de livre ancienne, ayant été disposé par Mr. de Bourbon suivant sa méthode, a pu être tiré avec la charge de 28 grammes de poudre (charge réglementaire) et chargé à balle, simplement appuyé contre l'épaule et sans être retenu par quoi que ce fut, le tir n'a pas produit plus d'effet sur le tireur qu'un fusil de munition ordinaire. Mr. de Bourbon assure que ce changement fait au fusil de rempart est durable et ne saurait se déranger.
Des fusées parties en notre présence et disposées dans un tube de tôle, garnies d'ailerons au lieu de la queue ordinaire, se sont bien dirigées et toutes ont éclaté en touchant le terrain sablonneux des expériences.
On a tiré à la distance de quatre cents pas contre une enceinte, composée de poutres verticales de 30 centimètres en sapin, enfoncées à un mètre dans le terrain et revêtues de terre, deux obus de 15 centimètres préparés par Mr. de Bourbon. Toutes deux ont éclaté dans l'intérieur de l'enceinte en passant par le premier parvsi. Les obus ordinaires ont traversé l'enceinte de part en part.
Dans la même enceinte l'inventeur a fait éclater une bombe en bois chargée de sa composition; l'explosion a renversé les parvis et brisé en partie les poutres qui les composaient.
Enfin l'inventeur a fait éclater au fond d'une fosse de 1,6 mètre de hauteur d'eau au-dessous d'un radeau fortement relié, une mine de sa composition. Le radeau a été fracassé et réduit en éclats, qui ont été lancés à plus de vingt mètres de hauteur avec une masse d'eau considérable.
En foi de quoi nous avons délivré le certificat que dessus et signé de nos noms.
Breda, le 18 avril 1845.
H.G.Seelig, colonel d'artillerie / J.P.Delprat, lieutenant-colonel du génie / G.A. Van Kerkwijk, capitaine-ingénieur / Gobius, capitaine d'artillerie.
En conséquence, au vu de ce rapport, un contrat est passé pour confier au prince l'exploitation pratique de ses découvertes au profit de l'armée et de la marine néerlandaises. Ce document est remarquable par deux détails.
Tout d'abord, il est établi, au nom du roi Guillaume II des Pays-Bas, avec Monsieur Charles, sans mention de nom de famille. Or seuls les souverains ont le droit de s'appeler par leurs prénoms. Ils ne doivent même pas utiliser leur nom patronymique. Il y a donc là une preuve que le roi des Pays-Bas et son gouvernement savaient fort bien que leur partenaire dans cette affaire n'était autre que Louis XVII.
D'autre part, ce contrat prévoit en faveur du prince une rémunération qui est un véritable pactole, et ce à une époque où les finances néerlandaises, qui subissaient le contrecoup de la scission de la Belgique et des opérations militaires qui en avaient résulté, étaient dans un état peu satisfaisant. Cette générosité prend en réalité l'allure de subsides accordés par le souverain des Pays-Bas à un autre souverain contraint de vivre en exil.
Des résultats concrets
Son fils aîné, Charles Édouard, le rejoint à Delft. Mais seul le prince connaît vraiment ses propres inventions. Il n'a pris aucune note par écrit, par prudence, de peur que ces papiers ne lui soient subtilisés. Il a tout dans sa tête. Il met au point une grenade d'un nouveau type qui, sous le nom de Bombe Bourbon (à gauche, une grenade ordinaire de l'époque ; à droite, la bombe Bourbon), demeurera en service dans l'armée néerlandaise jusqu'après la deuxième guerre mondiale.
Une affaire rondement menée
Tous ces événements se déroulent dans un délai très court. Le prince arrive fin janvier 1845 à Rotterdam. Il va mourir le 10 août 1845 après quelques jours de maladie. Dans un laps de temps de six mois il aura donc réussi à obtenir de séjourner aux Pays-Bas, à contacter les autorités militaires compétentes, à obtenir leur accord, à préparer matériellement ses expériences, à les réaliser, à négocier un contrat et à créer la bombe Bourbon.
Quand on connaît l'inertie qui caractérise toutes les administrations publiques dans tous les pays du monde, il est stupéfiant que de pareils résultats aient pu être atteints en aussi peu de temps.
Cette réflexion nous ramène à une des hypothèses que nous avions formulées.
Nous avons pensé en effet que Louis, en fin d'adolescence, avait suivi les cours d'une école d'artillerie aux Pays-Bas. Dans ce cas, il aurait forcément cotoyé des jeunes néerlandais de son âge et fréquenté peu ou prou les milieux militaires du pays. En 1845, il a soixante ans. Ses anciens condisciples de son école ont sensiblement le même âge, voire quelques années de moins (les élèves dans les écoles d'artillerie néerlandaises étaint admis dès l'âge de 14 ans et nous pensons que le prince en avait 19 quand il les fréquenta). Ils sont donc encore, pour certains d'entre eux au moins, toujours au service des forces armées néerlandaises. Il n'est pas impossible que les contacts, qui se sont établis très rapidement, avec les autorités militaires néerlandaises en aient été facilités.
La langue néerlandaise
Certains témoignages disent que, parmi les langues que Louis XVII maîtrisait par l'écrit et la parole, figurait le néerlandais. On a donc pu supposer qu'il en avait acquis l'usage pendant les six mois de son séjour dans le pays.
Cela n'est pas possible. En effet, nous avons relevé qu'en 1818 les autorités militaires néerlandaises avaient constaté un déficit de recrutement parmi les élèves des écoles militaires en provenance du sud du pays, de la partie francophone donc qui appartient aujourd'hui à la Belgique (territoire des ex-Pays-Bas autrichiens donné au royaume des Pays-Bas par le Congrès de Vienne). La raison en était que les jeunes gens ne parlant pas le néerlandais étaient exclus des examens d'admission. Seuls ceux qui en avaient une connaissance passive, c'est-à-dire capables de comprendre à peu près mais pas de s'exprimer, pouvaient se présenter. Et encore devaient-ils dans les premiers temps de leur présence à l'école apprendre réellement la langue, ce qui demandait en général une bonne année (Op weg naar Breda, p. 301).
Voilà qui semble confirmer que le prince avait bien fait dans sa jeunesse un long séjour aux Pays-Bas. Outre les milieux militaires, il avait donc pu nouer des contacts avec d'autres personnes. Les portes s'ouvrent beaucoup plus facilement quand on peut s'adresser à d'anciennes relations.
Iconographie : La reproduction de la bombe Bourbon figure dans l'opuscule distribué par l'Institut Louis XVII lors du 150ème anniversaire de la mort de Louis XVII à Delft. Les autres illustrations ont été obtenues par l'auteur à l'Office du Tourisme de Delft.
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