RAPPORT DU DOCTEUR LOCARD
Ministère de l'Intérieur
Direction Générale de la Sûreté générale
Laboratoire de Police Technique de Lyon
N° 10.176
Je soussigné Edmond Locard, docteur en médecine, licencié en droit, directeur du Laboratoire de Police Technique, 35, rue Saint-Jean à Lyon, sur la demande de Monsieur André Castelot, en date du 23 avril 1951, certifie avoir procédé ce jour et jours suivants aux examens et analyses nécessaires à l'effet de :
Dire si des mèches de cheveux données comme provenant de Louis XVII sont identiques à celles provenant de Naundorf.
I
Une première expertise a été faite en novembre 1943 ; M.François Juré avait apporté au Laboratoire de Police Technique de Lyon un reliquaire contenant deux mèches de cheveux de faible consistance, une dizaine de cheveux pour chaque mèche. L'une était donnée comme provenant du Dauphin au Temple et aurait été remise à Maximilien Robespierre, puis à Courtois, et était devenue la propriété de M. l'abbé Ruiz. La seconde était donnée comme ayant été coupée sur la tête de Naundorf après sa mort.
L'examen pratiqué, directement et avec des micrographies, amenait aux constatations suivantes :
1° Nuances très voisines ; un peu plus foncée pour la mèche dite Naundorf. Au microscope, même aspect blond, transparent. Même souplesse.
2° Le diamètre mesuré au micromètre donne les mêmes variations pour les deux mèches : 65 à 71.
3° Le canal médullaire est de même de part et d'autre, avec un diamètre variant entre 6 et 7.
4° L'indice médullaire est le même pour les deux mèches, c'est-à-dire un dixième.
5° Enfin les deux mèches présentent une particularité extrêmement rare et puissamment signalétique ; le canal médullaire est excentré d'une façon très nette.
Ce dernier caractère emportait la conclusion. Il apparaissait comme certain que les deux mèches examinées provenaient d'une même tête.
La conclusion du rapport était donc qu'il y avait identité d'origine pour les deux mèches examinées. Mais, bien entendu, j'avais insisté sur le fait que je ne garantissais pas l'origine de l'une ni de l'autre mèche, et que je n'avais d'ailleurs pas à la garantir.
II
Depuis cette date, j'ai reçu de France, d'Angleterre, de Suisse et du Canada une quantité prodigieuse de mèches attribuées à Louis XVII. J'ai dit un jour, en plaisantant, que j'avais reçu assez de cheveux du Dauphin pour reconstituer la plus belle perruque de Louis XIV ! Mais, parmi ces échantillons fantaisistes, dont quelques uns m'ont été adressés par des individus manifestement aliénés, il faut retenir des envois dignes d'attention :
1° Une mèche de l'enfant mort au Temple donnée comme prélevée par le commissaire Damont et retrouvée par M.Pourcher du Chéné. Cette mèche ne présente pas l'excentration du canal médullaire. On en pourrait conclure que l'enfant mort au Temple n'était pas Louis XVII. Mais ceci est en dehors de l'expertise.
2° Le marquis de Tinguy m'a envoyé en novembre 1950 des cheveux de Louis XVI et de Louis XVII. Ceux de Louis XVII présentaient l'excentrement de la moelle déjà signalé dans la première expertise. Cette mèche qui avait appartenu à Mme Vergier de La Rochejaquelein, comtesse de Rieux-Sougy, a fait l'objet du rapport n° 10.014.
Ce dernier examen confirmait d'une façon bien remarquable le fait que les cheveux du Dauphin présentaient l'anomalie caractéristique de l'excentrement médullaire.
III
Le 9 février 1951 M.Hulst m'envoyait de Leiden une mèche de cheveux officiellement saisie sur le corps de Naundorf exhumé le 27 septembre 1950.
L'examen de ces cheveux a fait l'objet du rapport n° 10.131 destiné aux autorités néerlandaises.
Ces cheveux, d'origine indiscutée, ne présentent pas l'excentrement caractéristique. On s'en rend clairement compte sur la microphotographie jointe au présent rapport.
IV
Ainsi donc les cheveux de Naundorf, d'une origine indiscutable, ne sont pas identiques à ceux de Louis XVII. En ce qui concerne ces derniers, la parfaite identité de ceux apportés par M.François Juré et de ceux envoyés par le marquis de Tinguy semble bien établir que le Dauphin présentait une anomalie capillaire caractéristique.
Les conclusions de la première expertise ont été faussées par l'erreur matérielle concernant la mèche attribuée, certainement à tort, à Naundorf.
Lyon, le 4 mai 1951.
Edmond Locard.