Faits et témoignages autour du 3 juillet 1793
Le premier document (reproduit dans divers ouvrages) qui ait trait à la séparation de Louis XVII de sa famille est le décret du Comité de Salut Public du 1er juillet 1793.
Ce texte est signé par huit des membres du Comité : Barère, Berlier, Cambon, Couthon, Danton, Guyton-Morveau, Hérault de Séchelles, Jeanbon Saint-André. Trois membres ne l'ont pas signé : Delmas et les deux frères Lindet.
Le décret prend prétexte de la dénonciation d'un complot contre la liberté publique qui aurait été ourdi par le général Arthur Dillon. Ce dernier sera d'ailleurs arrêté sous ce chef d'inculpation le 13 juillet 1793 et guillotiné par la suite.
Il est néanmoins certain qu'il y a eu concomitance avec deux autres événements :
La tentative d'évasion de la famille royale tentée dans la nuit du 21 au 22 juin 1793 par le baron de Batz et qui a échoué sous l'intervention d'Antoine Simon ;
La dénonciation par la femme Tison de communications de Marie-Antoinette et de Madame Élisabeth avec l'extérieur à l'aide de certains commissaires de la Commune, notamment les municipaux Lepitre et Toulan qui mirent sur pied un projet dévasion de la famille royale en mars 1793, projet que des circonstances imprévues empêchèrent de mettre en uvre..
Le couple Tison avait été placé au Temple, au troisième étage, pour servir les trois femmes et aussi - si ce n'est surtout ! - pour les espionner. Le couple avait une fille, lingère, qui avait été arrêtée depuis peu après avoir été prise en flagrant délit d'introduction au Temple de messages provenant de l'extérieur. Furieuse de ne plus voir sa fille, la mère avait dénoncé ces liaisons illicites avec l'extérieur.
Le même décret arrête que «le jeune Louis fils de Capet sera séparé de sa mère, et placé dans un appartement à part le mieux défendu de tout le local du Temple».
Ce décret est daté du «1er juillet 1793 l'An 2° de la République française».
Commentaires:
Il y a eu deux tentatives d'évasion, la première dirigée par le baron de Batz sest traduite par une tentative matérielle, la seconde attribuée au général Dillon n'est tout au plus qu'un projet dénoncé mais non confirmé.
Le Comité de Salut Public (le gouvernement de l'époque) prend une mesure qui semble logique : placer le Roi seul, dans un appartement à part, bien défendu. Il souligne par cette démarche qu'il a pleine conscience que seul le garçon représente une valeur aux yeux de tous (et visiblement aussi aux yeux des révolutionnaires).
Il n'est pas prévu de placer l'enfant ainsi isolé sous la garde d'un personnage plus spécialement destiné à cet effet. La seule mesure que décide le Comité est l'isolement, non l'éducation du garçon ni même une surveillance directe.
On connaît le résultat de lapplication de ce décret par la Commune : de tout le temps passé au Temple, le garçon naura jamais été si libre de ses mouvements que tant quil sera placé sous la surveillance de Simon.
Le deuxième texte relatif à lenlèvement de Louis XVII à sa famille est le récit quen fait sa sur dans le «Mémoire écrit par Marie Thérèse Charlotte de France sur la captivité des Princes et Princesses ses parens depuis le 10 août 1792 jusquà la mort de son Frère juin 1795».
Ce titre interminable, cas fréquent à lépoque, ouvre un texte qui a été écrit au Temple par Madame Royale à linstigation de Madame de Chanterenne, la «dame de compagnie» - et surtout espionne pour la police, où était employé son mari à des tâches confidentielles. Le texte original est certes bien de la princesse, mais le manuscrit est resté longtemps entre les mains de la dite dame de compagnie avant dêtre revu et corrigé par le comte de Provence et ses affidés.
Il convient donc de ne regarder ce texte quavec une certaine circonspection. Le but de Provence consistait avant tout à prouver que cétait bien son neveu (et filleul !) qui était mort au Temple le 8 juin 1795, ce qui aurait garanti alors la légitimité de sa présence sur le trône !
Dans ces conditions, il navait aucune raison apparente de modifier le récit des épisodes qui nous intéressent.
Il est un troisième texte qui relate lenlèvement du jeune Roi à sa famille. Il sagit de lextrait des registres du Temple relatif à cette soirée du 3 juillet 1793. Lhistorien Beauchesne, qui écrivait dans les premiers temps de la monarchie de juillet nous en donne la teneur (de Beauchesne, «Louis XVII», Tome II, Livre XI, p. 63, note 1) :
«Le 3 juillet 1793, à neuf heures et demie du soir, nous, commissaires de service, sommes entrés dans lappartement de la veuve Capet, à laquelle nous avons notifié larrêté
du Comité de salut public de la Convention nationale du 1er du présent, en linvitant à sy conformer. Après différentes instances, la veuve Capet sest enfin déterminée à nous remettre son fils, qui a été conduit dans lappartement désigné par larrêté du conseil de cejourdhui, et mis entre les mains du citoyen Simon, qui sen est chargé. Nous observons, au surplus, que la séparation sest faite avec toute la sensibilité que lon devait attendre dans cette circonstance, où les magistrats du peuple ont eu tous les égards compatibles avec la sévérité de leurs fonctions.
Signé : Eudes, Gagnant, Arnaud, Véron, Cellier et Devèze».
Commentaires :
Ce texte ne nous apprend rien de neuf mais confirme lévénement, sa date et son heure.
Même si lon peut penser que les commissaires se donnent le beau rôle, il confirme également quil ny a pas eu dagissements brutaux.
Il confirme en outre que la Reine, après discussion, a bien remis son fils aux commissaires.
Enfin, il confirme que lenfant se mouvait par lui-même : il a été conduit à lappartement qui avait été désigné ; on ne ly a pas porté. Cela implique aussi quil était habillé.
Mais il est un élément de ce rapport des commissaires qui éveille lattention : cest la liste des commissaires de service au Temple ce soir-là. Elle figure au bas du document : ce sont eux qui lont signé.
Les commissaires de la Commune étaient huit au départ. Ils furent réduits à six après la mort de Louis XVI, puis à quatre après lexécution de Marie-Antoinette, et enfin ramenés à trois après le décès de Madame Élisabeth.
Lévénement se situe entre la mort de Louis XVI et celle de Marie-Antoinette. Il y a six commissaires présents cette nuit-là au Temple : cest réglementaire.
Ce qui lest moins, par contre, ce sont leurs noms.
En effet, pour désigner chaque soir les commissaires qui devaient prendre la relève de leurs prédécesseurs à la garde du Temple, la Commune avait décidé de suivre lordre alphabétique.
Il y avait bien certaines entorses légères à ce processus. Certains sarrangeaient entre collègues pour échanger leur tour de garde, pour des raisons de commodités personnelles. Cest ainsi que lon a, par exemple :
La décharge donnée par les quatre commissaires de garde aux époux Simon le 19 janvier 1794, signée de Lasnier, Legrand, Lorinet et Cochefer (ce dernier seul nest pas à son rang alphabétique) ;
Les trois commissaires qui, le 30 prairial an II (18 juin 1794), font rapport à la Commune sur les possibilités dentrée et sortie incognito par la porte des écuries se nomment Leclerc, Legris et Lorinet ;
Les trois commissaires qui étaient de garde le 10 thermidor (28 juillet 1794) au matin sappellent Tessier, Tombe et Lorinet (ce dernier en remplacement).
Mis à part la présence remarquable de Lorinet lors de trois événements notables de la vie du Temple (sans que personne n'ait jamais pu en tirer de conclusion), il convient de dire que les listes de commissaires de service au Temple, que nous connaissons, suivent grosso modo lordre alphabétique, compte tenu des remarques ci-dessus.
Si lon reprend alors la liste des commissaires de garde le 3 juillet 1793 au soir, on constate immédiatement quil ny en a pas deux dont le patronyme commence par la même initiale ! Y compris pour des lettres (comme A, C, D ou E) par lesquelles commencent de nombreux noms de famille en France.
Il est donc clair que ce nest pas lordre alphabétique qui a été suivi pour désigner les quatre commissaires de service au Temple le soir du 3 juillet 1793.
Mais alors quel critère a présidé à ce choix ?
Beauchesne nous indique leur profession : Eudes était tailleur de pierre, domicilié au 29 de la rue Saint-Antoine ; Gagnant, peintre, rue Richer ; Arnaud, lecteur secrétaire, rue Favart ; Véran, parfumeur, rue Saint-Denis ; Cellier, défenseur officieux (= avocat), rue des Francs-Bourgeois ; Devèze, charpentier, rue de la Pépinière.
Ils sont donc dispersés dans différents quartiers de Paris et appartiennent donc chacun à une section différente. Ils exercent des professions indépendantes les une des autres. Ces renseignements ne nous fournissent aucun indice, aucun lien apparent entre ces hommes.
Beauchesne nous précise que Eudes et Arnaud succombèrent à la suite du 10-thermidor. Gagnant fut accusé de modérantisme (ce qui ne peut concerner que le début de lannée 1794 et nentre donc pas en considération ici) et, pris les armes à la main lors de laffaire du camp de Grenelle (23 fructidor an IV, 9 septembre 1796), dinspiration babouviste (ce qui na rien de commun avec le modérantisme !), il fut exécuté. Les dictionnaires historiques ignorent ces six personnages, Ces quelques renseignements ne nous fournissent donc pas non plus dindice. Ces six personnages ne semblent pas avoir laissé dans lhistoire dautre trace que leur présence au Temple ce soir-là
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Et lon peut pourtant être certain quils nont pas été choisis au hasard pour jouer un rôle, fut-il modeste mais sans doute essentiel, le soir où se déroulait au Temple un événement aussi considérable que larrachement du jeune Roi à sa famille !
Appartiendraient-ils tous à une même faction ? Cest une hypothèse plausible, mais rien ne le confirme.
Le même historien de Beauchesne nous fournit les noms des quatre délégués du Comité de Sûreté Générale qui vinrent le 7 juillet 1793 vérifier la présence de lenfant du Temple : il sagit des dénommés Maure, Dumont, Chabot et Drouet.
Les deux premiers sont tellement illustres quils nont laissé aucune trace hors de leur participation à cette délégation.
François Chabot était moine capucin à Rodez, assez mal vu de ses supérieurs ecclésiastiques. Il fut un des premiers à quitter son couvent lors de la suppression des ordres monastiques et à adhérer à la Constitution Civile du Clergé. Délégué par la Législative pour arrêter les massacres de septembre, il déclara ne pas pouvoir «arrêter la justice du peuple» Régicide, il est envoyé installer les autorités républicaines dans le Tarn et lAveyron, où il prêche la débauche. Il épousera la sur des frères Frey, financiers et sans doute espions autrichiens. Il sera compromis, avec Fabre dÉglantine, dans la liquidation de la Compagnie des Indes. Il sera guillotiné le 4 avril 1794 avec ses beaux-frères, Fabre dÉglantine, Danton, Desmoulins et Hérault de Séchelles.
Jean-Baptiste Drouet est le maître de poste de Sainte-Menehould qui provoqua larrestation de la famille royale à Varennes, le 21 juin 1791. Lanalyse détaillée de cet événement et du retour à Paris prouve que ce personnage ne sest à aucun moment trouvé en contact ou seulement proche du Dauphin. Envoyé à larmée du Nord en septembre 1793, il est capturé par les Autrichiens et fera partie du groupe de révolutionnaires dans la même situation qui seront échangés à Bâle, le 26 décembre 1795, contre Madame Royale. Il complotera ensuite avec Gracchus Babuf et sera arrêté. Évadé, il partira pour les Canaries, mais reviendra après son acquittement et servira lEmpire dans le corps préfectoral. Exilé comme régicide, il reviendra clandestinement en France et mourra à Mâcon le 10 avril 1824.
Il ressort de ces analyses que pas un seul de ces quatre délégués nétait en mesure didentifier le fils de Louis XVI.
Gérald Pietrek, dans son ouvrage «Simon Présidan», nous fournit le fac-similé de la liste démargement de la Commune de Paris en ce qui concerne la rémunération de Simon et de son épouse «en garde auprès du fils Capet» : ils sont inscrits pour 9.000 £ annuelles (750 £ par mois).
Il sagit là bien sûr de sommes payées en assignat qui, à lépoque, valaient à peu près la moitié en numéraire. Pour un ménage qui navait jamais que traîné la misère, il sagit néanmoins dun véritable pactole (la journée de travail dun manuvre était alors estimée à 1 £ par jour). Il convient dajouter que le ménage était logé (dans les meubles même utilisés par Louis XVI !) et nourri, et lon sait que la nourriture au Temple navait rien de spartiate, alors que le peuple vivait des jours difficiles.
Le même ouvrage du même auteur reproduit le fac-similé du billet que Simon adressa à Hébert le 30 septembre 1793. Cest à cette occasion quil informa ladjoint du procureur-syndic de la Commune des mauvaises habitudes de lenfant que son épouse et lui avaient surpris.
Nous possédons bien sûr les minutes de la déposition de lenfant en date du 6 octobre 1793 et de la double confrontation du 7 octobre.
Il faut noter à cet effet que ce ne sont pas les commissaires de la Commune de service ces jours-là en tant que tels qui entendirent ces dépositions, mais des commissions composées à cet effet.
Celle du 6 octobre se composait de Chaumette, procureur-syndic de la Commune (et cette qualité maître absolu du Temple), de son adjoint Hébert, du maire de Paris Pache, des commissaires au Temple Friry, Laurent et Séguy, de Heussée, administrateur de police, et de Simon.
Le 7 octobre, on trouve toujours Chaumette, Pache, Heussée, Laurent, Séguy, mais David remplace Hébert, Daujon arrive pour servir de secrétaire, et Friry ny figure plus.
Lhistorien Xavier de Roche nous fournit en page 426 de son «Louis XVII» le fac-similé de la déposition du 26 octobre.
Elle est signée de lenfant du Temple et de Simon qui en approuve les termes.
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Louis XVII quitte le Temple
Nous venons de voir que ce nest pas Louis XVII qui a participé aux événements doctobre 1793 et que le garçon qui lui avait déjà été substitué était de toute nécessité depuis un certain temps au Temple pour avoir pu si parfaitement assimiler son rôle.
Et pourtant, cest bien Louis XVII qui a été transféré dans le sinistre bâtiment le 13 août 1792 avec sa famille ; cest bien lui que Marie-Antoinette a salué du titre de Roi le 21 janvier 1793, à 10h20 du matin, au moment même où les cris de la rue lui ont appris que la tête de Louis XVI venait dêtre tranchée. Cest bien lui aussi qui demeurait au troisième étage de la tour avec sa mère, sa sur et sa tante.
Alors, quand est-il sorti du Temple ? Comment ? Grâce à qui ? Pour quels motifs ? Et, question primordiale, à quelle fin, cest-à-dire dans quel but ?
Remarque préliminaire
On ne peut rien comprendre à ce qui sest passé au sujet de Louis XVII si lon fait abstraction dun fait qui semble un truisme quand on lexprime, mais qui est en réalité la clef de tout le mystère :
Louis XVII est le Roi.
Et cela, tout le monde à lépoque en a conscience. Lui le tout premier dailleurs, qui sait quil est né pour être Roi, que cest son destin. Ses oncles aussi, et cela les ennuie fort, surtout Provence qui na jamais caché son ambition de remplacer son frère aîné et ses enfants sur le trône et ne reculera devant aucune ignominie pour y arriver. Toutes les Cours étrangères le savent. Et aussi, tous les révolutionnaires !
La situation
La révolution a été une suite dactions de plus en plus brutales, en tout cas jusquau 10 thermidor an II (chute de Robespierre). Ses propres acteurs avaient conscience quil fallait mettre fin à ce cataclysme. Robespierre lui-même se faisait lécho, de plus en plus pressant, de cette nécessité au fil de ses discours, prédisant que sans cela la révolution finirait par une dictature militaire. La suite des événements lui a donné raison.
Mais ce point final espéré devait respecter deux conditions indispensables : maintenir légalité des droits et garantir lintangibilité du formidable transfert de richesses quavait réalisé la vente des biens nationaux, produit dune inadmissible spoliation.
Les meneurs en ajoutaient une troisième, non exprimée, mais encore plus essentielle à leurs yeux (et on les comprend !) : ne pas avoir a rendre de comptes.
Mais comment arrêter la révolution ?
Les régimes mis successivement en place par les révolutionnaires se sont tous révélés non viables. Ils en sont donc tous venus très vite à lidée quil était impératif de rétablir la monarchie. Pas lancien régime, bien sûr, mais une monarchie nouvelle sur des bases à créer.
Certes, une loi punissait de mort ceux qui auraient tenté un tel geste, mais une loi qui a été votée peut être annulée par une autre votée ultérieurement.
Tous les grands meneurs (et il faut bien dire tous) ont cherché un roi. Danton souhaitait asseoir sur le trône les Orléans, cadets aux dents perpétuellement longues. Mais le départ du duc de Chartres à la suite de Dumouriez passé aux Autrichiens anéantit ce projet. On parla aussi de princes étrangers : le duc de Brunswick ou le duc dYork, par exemple.
En réalité, il nétait nul besoin daller chercher si loin : le Roi était là, en leur pouvoir, au Temple, ce Roi dont nul au monde ne pouvait contester la parfaite légitimité. Les plus malins pensèrent vite quil fallait lutiliser.
Louis XVII, en 1793, venait de fêter (en prison !) ses huit ans. La majorité royale est certes fixée à 13 ans en France, mais les expériences passées prouvaient quil fallait prévoir dans un tel cas une longue régence que lon peut chiffrer à environ quinze années. Cette régence serait exercée bien sûr par ceux-là même qui auraient placer le jeune Roi sur le trône, cest-à-dire par les révolutionnaires qui auraient réussi ce coup. Au bout de quinze ans, le régime aurait été stabilisé depuis longtemps
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Le complot
De même que la révolution a été lancée et conduite par un complot ourdi de longue date, de même la prise en mains du fils de Louis XVI par les révolutionnaires sest opérée selon un schéma préparé à lavance.
Vu limportance de lenjeu et linestimable valeur de lenfant, il est évident que seuls les très grands ténors de la politique de lépoque pouvaient se permettre de jouer ce jeu qui nallait pas sans danger. Et lon sait ce que danger signifiait sous la révolution !
Ces personnages, en 1793, ne sont que deux : Danton et Robespierre.
Danton, force de la nature, orateur fougueux à la voix de stentor, pas très net dans les affaires dargent, est alors fatigué : devenu veuf, il vient de se remarier et va prendre durant quelque temps du recul par rapport à lactivité politique.
Robespierre, l«Incorruptible», toujours habillé et pommadé avec soin, rigide dans sa vertu glacée, débitant dune voix aigre des discours interminables laborieusement rédigés à lavance, se précipite dans la brèche. Il nhésitera pas à faire le vide de tous ses adversaires, du moins jusquà ce que ceux-ci sen débarrassent à leur tour. Les deux hommes se détestent.
Or, Robespierre, en 1793, est au mieux avec la Commune de Paris, organe insurrectionnel né dun coup de force pour remplacer brutalement le conseil légalement élu. Et cest cette Commune qui a exigé et obtenu la garde de la famille royale.
Cest la collusion entre Robespierre et la Commune qui va faire sortir Louis XVII de sa prison.
Condition préalable
Pour placer lenfant sur le trône, même quil en soit le légitime détenteur, il faut achever son éducation qui avait déjà été bien engagée aux Tuileries et poursuivie au Temple. Mais il faut quil soit un monarque dun genre nouveau : ce nest donc pas léducation que lui donnerait sa famille qui convient.
Il faut donc avant tout séparer lenfant de sa famille.
Mais chacun savait bien que jamais Marie-Antoinette naccepterait de se séparer de son fils.
Eh bien, puisquelle ne voudra pas le donner, on va faire en sorte de le lui prendre !
On connaît la phrase de Chaumette, procureur-syndic de la Commune et, en cette qualité, maître absolu du Temple : «Je veux lui faire donner quelque éducation. Je léloignerai de sa famille pour lui faire perdre lidée de son rang !». Ces quelques mots ont provoqué des tollés dindignation. Et sils renfermaient en réalité la vérité ? Faire perdre à Louis XVII lidée de son rang est impossible, et Chaumette le sait fort bien. Mais on peut apprendre à lenfant à être Roi autrement.
Le processus d«évasion»
Il va de soi que Louis XVII ne sest pas «évadé» : il avait 8 ans et 3 mois lorsquil a été séparé de sa famille. On la fait sortir ! Le processus mis en uvre est simple et se déroulera sans accroc.
1 Une curieuse tentative dévasion
Dans la nuit du 21 au 22 juin 1793, une trentaine de royalistes déguisés en gardes nationaux pénètrent au Temple sous la direction du baron de Batz pour faire évader la famille royale en bloc. La tentative échoue parce que Simon, averti par une mystérieuse lettre dont on na jamais retrouvé trace, demande un contre-appel. La logique voudrait quen pareil cas on ferme tout dabord les portes. Il nen est rien et les conjurés, Batz compris, sortent du Temple sans être inquiétés !
Cette curieuse tentative sent donc le «coup fourré» !
2 Décision du Comité de Salut Public
Devant cette «menace» pour la sécurité de la prison, curieusement, ce nest pas la Commune, maîtresse du Temple et gardienne officielle de la famille royale, qui prend une décision, mais on la demande au Comité de Salut Public (le gouvernement de lépoque).
Curieusement aussi, on se garde bien de sadresser à la Convention qui, pourtant, décrétait à longueur dannée sur tout et sur rien.
Le Comité décide que «le jeune Louis, fils de Capet, sera séparé de sa mère et placé dans lappartement à part le mieux défendu de tout le local du Temple».
Cet arrêté est pris le 1er juillet 1793, en fin de soirée.
3 Deux jours de délai !
Les décisions des organes révolutionnaires sont en général exécutées sur le champ : lorsque le Dauphin fut séparé de Louis XVI, le 11 décembre 1792, le décret fut exécuté aussitôt. Cette fois, la Commune en prend à son aise : ce nest que le 3 juillet à 22h00 quelle se décide à exécuter larrêté du Comité !Or il ne faut pas plus dune demi-heure à cheval pour un messager pour aller des Tuileries, où siège le Comité de Salut Public, à lHôtel de Ville, où siège la Commune.
On avait obtenu la décision quon voulait : pourquoi attendre deux jours ?
4 À dix heures du soir !
Le 11 décembre 1792, les commissaires étaient venus prendre le Dauphin chez son père à 11 heures du matin. Lenfant était alors en pleine activité.
Cette fois, ils attendront lheure de leur relève qui sopérait chaque jour entre 22 et 23 heures. Pourquoi attendre cette heure de la nuit, alors que lenfant dort de son premier sommeil, pour lenlever à sa famille ? Il devait paraître évident aux commissaires quagir ainsi provoquerait des difficultés.
Mais la nuit, lobscurité règne et crée une atmosphère propice aux actions en catimini : à lépoque on séclaire encore mal, au Temple comme ailleurs.
5 Une longue heure apocalyptique
Marie-Antoinette, après lecture du décret du Comité de Salut Public, sefforce de garder son fils. Les commissaires tempêtent et menacent de faire intervenir la force publique. Ils en ont le pouvoir et un poste dune trentaine dhommes de la garde nationale occupe le premier étage de la tour, et donc à portée de voix.
Mais ils se gardent bien, dans la réalité, de requérir son intervention !
Ils mènent des pourparlers avec la Reine, alors que lenfant, réveillé brusquement, saccroche à elle en pleurant. Cest le terme même employé par Madame Royale, sur de Louis XVII, dans ses «Mémoires». Donc, la Reine et les commissaires négocient. Mais que peuvent-ils négocier ? Pas le principe de la séparation : cest une décision du gouvernement. En revanche, la suite à donner à cette séparation peut faire lobjet de négociations
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Toujours est-il quau bout dune heure de ce drame, Marie-Antoinette consent à rendre son fils (ce sont là encore les termes propres de Madame Royale).
6 On lève et on habille le jeune Roi
Cest toujours Madame Royale qui nous le dit. On le lève : cest-à-dire quon lui ôte sa chemise de nuit. On lhabille : on lui fait revêtir ses vêtements de jour.
Or il sagit en tout et pour tout de prendre un enfant de huit ans dans son lit au troisième étage pour le glisser dans un autre lit tout prêt pour lui un étage en dessous. Il aurait dû être endormi et il suffisait quun homme le prenne dans ses bras pour le porter sur un étage, éventuellement enveloppé dans une couverture (nous sommes en juillet : il ne fait pas froid).
Pourquoi, dès lors, lhabiller comme sil devait sortir ? Il paraît légitime de penser que cest justement parce quil allait sortir dès le soir même du Temple et que cest là le résultat des pourparlers et de la décision de la Reine de rendre son fils.
De fait, en suivant le récit de Madame Royale, on constate que cette scène commencée dans le tumulte se termine dans le calme. Louis embrasse les trois femmes, la Reine lui adresse quelques mots et les commissaires laissent faire. Ensuite, il sort avec eux, en marchant, et donc sans être porté ni violenté.
7 Lenfant pleure, mais ne sort pas.
Deux jours durant lenfant, qui a été confié à Simon, pleure. Le cordonnier, homme fruste et peu intelligent, na rien de la brute qua décrite le XIX° siècle. Dès le 5 juillet, il achète, de ses propres deniers, des fleurs et des oiseaux pour distraire le petit prisonnier. Rien ny fait. Les pleurs ne sarrêteront que le 6 juillet quand Marie-Jeanne Simon vient rejoindre son époux au Temple. Cest une femme ; elle sait sy prendre et, par la suite, soignera fort bien lenfant.
Mais il faut noter : 1) que Marie-Jeanne Simon nest arrivée au Temple que le 6 juillet et 2) quelle na jamais vu auparavant le fils de Louis XVI.
Si les pleurs ont cessé, lenfant reste confiné au deuxième étage de la tour et les gardes nationaux murmurent parce quils ne le voient plus et se demandent sil est toujours au Temple (notons quils nauraient donc pas été étonnés dapprendre quil ny était plus !).
8 Le Comité de Sûreté Générale intervient
Alerté par ces murmures, le Comité de Sûreté Générale (la police de lépoque) délègue quatre de ses membres en inspection au Temple. Ils trouvent lenfant occupé à jouer aux dames avec Simon : le temps étant beau, ils lemmènent se promener sur le terre-plein.
Notons que Drouet, lhomme de Varennes, figurait dans cette délégation. En réalité, durant cette équipée, Drouet ne sest à aucun moment trouvé à proximité du Dauphin. Il est donc tout aussi incapable de lidentifier que ses collègues.
Le Comité de Sûreté Générale a ainsi pris la responsabilité de garantir la présence du fils de Louis XVI au Temple en la personne dun enfant quaucun de ses membres nest en mesure didentifier à coup sûr !
Conclusion
Le complot a réussi : on sest emparé du jeune Roi auquel on a substitué un autre garçon qui lui ressemble passablement (cest peut-être pour cela quil a fallu attendre deux jours).
Chaumette y ajoutera le point dorgue en imaginant de faire avaliser ce faux Louis XVII comme étant le vrai par la propre famille royale (et en réussissant !). Nhésitons pas à qualifier ce geste du procureur-syndic de la Commune de véritable trait de génie, à tel point dailleurs que nombreux sont ceux qui sy laissent prendre encore aujourdhui.
Qui est ce on ? Cet impersonnel très pratique de la langue française recouvre là plusieurs personnes. Chaumette, bien sûr, fait partie du complot. Il paraît dès lors difficile que son adjoint Hébert ny figure point. Simon ne pouvait pas ne pas savoir, mais Marie-Jeanne Simon a sans doute toujours cru de bonne foi que le petit Charles auquel elle sétait dévouée était bien le fils de Louis XVI. Tous ces personnages ont leur importance, mais ils ne pouvaient réussir quavec lassurance dêtre couverts par plus puissant queux. Et là, un seul nom simpose : Robespierre, qui a pris livraison du jeune Roi et la mis en sécurité en un lieu connu de lui seul. Guillotiné en hâte dès le 10 thermidor, il na rien pu dire (en supposant quil leut dès lors voulu !). Et lon a perdu la trace de Louis XVII, du moins momentanément
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Remarquons pour terminer lhabileté diabolique avec laquelle ce complot a été mené.
Cest la Commune qui a la garde de la famille royale. Or elle sarrange pour ne paraître dans cette affaire que comme lexécutant des décisions des autres :
Cest le baron de Batz qui conduit la vraie fausse tentative dévasion ;
Cest le Comité de Salut Public qui assume la responsabilité de décider de séparer Louis XVII de sa famille (ce Comité compte encore Danton parmi ses membres, jusquau 10 juillet, mais pas Robespierre qui ny entrera que le 27 juillet);
Cest le Comité de Sûreté Générale qui assume lidentification première dun substitué au Roi.
Cette façon dagir par personne interposée, de rester dans lombre, de ne pas se salir les mains, cest tout le caractère de Maximilien. Il a ainsi signé son forfait.
Demeure une question qui interpelle beaucoup de chercheurs : Comment se fait-il que personne nait rien dit ? Cest un fait que personne na rien dit. Et pourtant nombreux certes sont ceux qui ont eu conscience de la substitution.
Le décret du Comité de Salut Public du 1er juillet 1793 comportait deux éléments dans sa décision :
Séparer Louis XVII de sa famille. Cela a été exécuté.
Linstaller dans lappartement à part le mieux défendu de tout le local du Temple. Cette dernière injonction est demeurée lettre morte : lenfant que gardait Simon na jamais été aussi libre durant toute la période de détention ! Il allait et venait partout et remplissait la tour de ses cris denfant et de ses rires.
Voilà qui souligne bien que seule la séparation de lenfant de sa famille était recherchée et que les conjurés se moquaient pour le reste des décisions du Comité, qui tombera dailleurs sous la coupe de Robespierre dès le 27 juillet 1793.
Il suffit pour comprendre ce silence obstiné de se replacer en esprit dans le climat de la Terreur, commencée par les massacres de septembre 1792 et qui ira croissant jusquau 10 thermidor an II (28 juillet 1794). Un tel climat incite à ne rien voir, ne rien dire, ne rien entendre
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