NAISSANCE DE LOUIS CHARLES



Le 27 mars 1785, dimanche de Pâques, un peu avant sept heures du soir, la Reine Marie-Antoinette donne le jour à un petit prince, baptisé le soir même, qui reçoit les prénoms de Louis Charles et le titre de duc de Normandie.
C’est la joie à Versailles. Pas autant bien sûr que pour la naissance de son frère aîné, l’héritier de la couronne, que l’on avait attendu si longtemps.
Louis Charles, en effet, le futur Chou d'Amour de sa mère, n’est que le troisième enfant du couple royal qui avait déjà une fille, Marie Thérèse, que la Reine appelait Mousseline, et un fils, Louis Joseph François Xavier, Dauphin de France.

Pourtant quelques ombres se projettent déjà sur le berceau, voilant l’allégresse générale.

Tout le monde ne se réjouit pas de cette naissance. L’oncle du nouveau-né, l’aîné des frères puinés de Louis XVI, Louis Stanislas Xavier, comte de Provence, ne se gênait pas pour dire à qui voulait l’entendre qu’il aurait été bien mieux à sa place sur le trône que son lourdeau d’aîné.
Le couple royal étant demeuré sept années sans enfant, il s’était alors contenté d’intriguer sourdement en attendant son heure qu’il espérait prochaine. Cette naissance est pour lui un camouflet ironique du destin qui le fait reculer encore d’un cran dans l’ordre de succession à cette couronne de France à laquelle il aspire avec frénésie !

Sans doute Provence n'ose-t-il pas reposer l'insolente question qui avait choqué (ou fait ricaner) toute la Cour et lui avait valu une rebufade de ce même cardinal de Rohan lors du baptême de la sœur aînée du nouveau-né : La première chose à faire n’est-elle pas de savoir quels sont les père et mère de l’enfant ? Mais le mal était fait et le poison de la calomnie effectuait déjà ses ravages. Il ne se gênera pas pour insinuer que le père réel des enfants de Marie-Antoinette n’est pas le Roi son mari et les caisses de résonance ne manqueront pas dans un contexte laxiste.

Le baptême est administré par le cardinal Louis prince de Rohan, Grand Aumônier de France. C’est ce prélat qui, ambassadeur de France à Vienne lors des négociations qui précédèrent le mariage de Louis, petit-fils de Louis XV et Dauphin de France, avec Marie-Antoinette, en 1770, avait scandalisé la Cour des Habsbourg par ses mœurs dissolues. La Reine le déteste pour cette raison et refuse de le voir.
Le cardinal Louis de Rohan se disait ou se croyait amoureux de la Reine et rêvait de reconquérir son estime. C’est ce qui l’amènera en 1786, l’année qui suivra la naissance de Louis Charles, à se laisser convaincre de tremper, à son insu, dans l’escroquerie de l’Affaire du Collier, qui se terminera quand même à son avantage et à la confusion de la Reine, le Parlement de Paris, restauré par Louis XVI, saisissant l'occasion de déconsidérer le gouvernement royal.

La marraine est Marie Charlotte Louise de Lorraine, archiduchesse d'Autriche, sœur de Marie-Antoinette, épouse de Ferdinand IV des Deux-Siciles, qui est représentée à la cérémonie par Madame Elisabeth, sœur de Louis XVI.

D’autres oiseaux de mauvais augure viennent encore tourner autour du berceau dès la naissance. La gouvernante des Enfants de France, une des plus hautes charges de la Cour, est la duchesse de Polignac. C’est la grande favorite de la Reine. Elle fait partie de ce clan de rapaces qui mettent le Trésor royal au pillage. Il n’est pas question bien sûr qu’une dame d’aussi haut rang se salisse les mains à s’occuper matériellement des enfants qu’elle gouverne (elle ne s’occuperait pas davantage matériellement de ses propres enfants) : son rôle se borne à transmettre les ordres de la Reine et ses instructions aux Premières femmes de chambre qui, à leur tour, les font suivre aux femmes de chambre ordinaires. Ce sont ces dernières qui s’occupent réellement de l’enfant dont elles ont la charge. La seule présence dans l’entourage du petit prince de cette duchesse exécrée est néanmoins en soi inquiétante.

Le 24 mai 1785, pour ses relevailles, Marie-Antoinette fait son entrée à Paris. Axel de Fersen, témoin oculaire de cette visite protocolaire, l’a décrite au roi Gustave III de Suède : La Reine a été reçue très froidement; il n’y a pas eu une seule acclamation, mais un silence parfait. Éprouvée par cet accueil glacial de la capitale, la Reine ne sait que répéter en pleurant : Que leur ai-je fait ?….Que leur ai-je fait ?

Louis Charles devient Dauphin de France à la mort de son frère aîné, le 4 juin 1789. Il a quatre ans deux mois et huit jours.
Sur le conseil même de la Reine, et sur l’ordre formel du Roi, la duchesse de Polignac quitte Versailles pour l’émigration dès le 14 juillet 1789. La Reine désigne Madame de Tourzel pour la remplacer.
À son âge, il est vraisemblable que l’enfant ne s’aperçoit guère de ces changements. Peut-être un peu plus d’attention de la part de ses nourrices et femmes de chambres ordinaires, celles qui s’occupent de lui quotidiennement. On connaît leurs noms : parmi elles se trouvent Madame de Saint-Brice et Mademoiselle Mottet, qui deviendra par son mariage Madame de Rambaud (facsimile dans Xavier de Roche, Louis XVII, pp. 575-6). Toutes deux identifieront formellement et sans faiblir Louis XVII en Naundorf lors de son retour à Paris en 1833.

Le 24 juillet 1789, Marie-Antoinette rédige un portrait écrit du petit Dauphin à l’intention de Madame de Tourzel. On peut y constater que la Reine connaît fort bien son fils : un enfant resplendissant de santé (un vrai petit paysan dira-t-elle plus tard), qui a besoin d’air, un peu nerveux, intelligent, quelque peu étourdi, aimant et déjà doué d’une personnalité marquée.
Malgré les premiers déchaînements de la révolution, Louis Charles continue de mener à Versailles la vie calme d’un très jeune prince.

Il faut mentionner un détail qui aura son importance par la suite.
Dans la famille de Bourbon, tous les mâles, ou presque, se prénommaient Louis : Louis XIV était Louis Dieudonné, l’aîné des frères de Louis XVI, décédé en 1761, à dix ans, était Louis Joseph Xavier, Louis XVI était Louis Auguste, le comte de Provence était Louis Stanislas Xavier, le duc d’Angoulême, fils aîné du comte d’Artois, était Louis Antoine.
Or seul le Roi portait officiellement le prénom de Louis et signait de ce seul prénom. Parler de Louis, c’était parler du Roi.
Pour savoir de qui on parlait, on utilisait donc dans la vie courante et familiale le second prénom des princes. C’est ainsi que, sa vie durant, Louis XVII fut en réalité appelé Charles.