LES ÉVÉNEMENTS DE BRANDEBOURG
LEurope de la Sainte-Alliance Laffaire dEspagne Ferdinand VII a retrouvé son trône dans lEspagne libérée de loccupation française. Cest un fervent du pouvoir royal fort, de ce quon appelle par exagération labsolutisme. Il se heurte donc aux libéraux qui forment le ministère et les Cortès : il en est virtuellement prisonnier. La lutte éclate entre monarchistes et libéraux (appelés exaltados) et le sang commence à couler. Ferdinand demande donc en sous-main à ses alliés dintervenir. Un congrès souvre le 20 octobre 1822 à Vérone, en Italie. LAngleterre est très hostile à une intervention armée. Des trois partenaires de la Sainte-Alliance, seule la Russie pousse à la guerre, la Prusse est irrésolue, lAutriche souhaite agir par des voies pacifiques. Finalement, le congrès charge la France dintervenir militairement en Espagne pour rétablir Ferdinand VII dans ses droits. Une armée de 80.000 hommes, placée sous le commandement du duc dAngoulême, entre en Espagne le 7 avril 1823. Cest une promenade militaire : le gouvernement espagnol et les Cortès, entraînant de force Ferdinand VII avec eux, quittent Madrid pour Séville, puis se réfugient à Cadix. Le duc dAngoulême, qui fait dans cette occasion montre de réelles qualités militaires, donne lassaut à la ville et lemporte. Ferdinand VII rétablit son pouvoir et, le 2 décembre 1823, le duc dAngoulême, de retour dEspagne avec ses troupes, fait son entrée à Paris. Lagitation libérale Si cette brève campagne dEspagne a rallié en partie larmée aux Bourbons, les germes nocifs semés par la révolution continuent leur travail de pourrissement. Les demi-soldes sont nostalgiques de lépopée napoléonienne : avec le temps, le souvenir de son côté sanglant sestompe et seul subsiste la magie de la gloire. Nombreux sont ceux qui se retrouvent affiliés aux carbonari, société secrète dorigine italienne dont le moyen daction préféré est lattentat meurtrier. Le cas le plus typique de cet état desprit dans larmée est le complot dit des quatre sergents de La Rochelle, en mars 1822, qui entraîna leur condamnation à mort alors quils nétaient que de simples exécutants. Des soulèvements libéraux éclatent aussi dans dautres pays dEurope. Cest le cas en Calabre et à Naples, où les Autrichiens rétablissent lordre, de même quà Novare, en Lombardie. Au Portugal, les Cortès proclament une constitution libérale, acceptée par le roi Jean IV. Un mouvement libéral échoue en Grèce. Le décès de Provence et lavènement dArtois Dès le début du mois de septembre 1824, Provence, les jambes rongées par la gangrène, doit saliter définitivement. Il entre en agonie le dimanche 12 et décède le 16 vers 04h00 du matin. Son frère Artois lui succède. Né à Versailles le 9 octobre 1757, il a presque atteint 67 ans. Il fait son entrée solenelle à Paris, sous une pluie battante, le 27 septembre. Moins prudent, ou plus inconscient que son prédécesseur, il se fait sacrer à Reims par larchevêque, Mgr de Latil, sous le titre usurpé de Charles X. Son fils aîné, le duc dAngoulême, (soi-disant)-Dauphin de France, est appelé au Conseil, où il sennuie ferme et ne prend - très rarement ! - la parole que pour sexcuser aussitôt davoir sans doute dit une bêtise ! Lindépendance grecque Suite à des massacres réciproques entre Grecs et Turcs, un congrès national, réuni à Épidaure, proclame lindépendance de la Grèce le 12 janvier 1822. Le sultan Mahmoud II fait appel à son puissant vassal, Méhémet Ali, dont larmée et la flotte ont été modernisées avec laide de techniciens français. Méhémet Ali dépêche son fils, Ibrahim, qui reconquiert le pays en le ravageant. La France, lAngleterre et la Russie interviennent alors en offrant le 6 juillet 1827 leur médiation que le sultan repousse. Une escadre anglo-franco-russe détruit la flotte turco-égyptienne en rade de Navarin le 20 octobre 1827. Un corps expéditionnaire français reconquiert la Morée, tandis que les troupes russes envahissent la Turquie et menacent Constantinople. Le sultan finit alors par signer le traité dAndrinople, du 14 septembre 1829, qui reconnait lindépendance de la Grèce laquelle ne reçoit cependant quune partie des terres de civilisation grecque. Louis XVII à Brandebourg A la fin de l'année 1821, Naundorf s'installe à Brandebourg, dans la province du même nom, où réside sa belle-mère. Il y est de nouveau reçu bourgeois, dans des circonstances tout à fait normales. Nouvelle tentative pour contacter sa famille Le 21 janvier 1824, anniversaire de la mort de son père, il écrit à Provence pour réclamer que l'on reconnaisse son état, menaçant d'aller plaider sa cause en personne devant le peuple français. La situation politique a complètement changé depuis 1809 : la Prusse est dans le camp des vainqueurs qui, après beaucoup de tergiversations, ont installé Provence sur le trône de façon à pouvoir tenir en laisse cet usurpateur. Il n'est pas question que le Roi légitime vienne troubler ce bel édifice qui assure le déclin à long terme de la France: il faut le mettre hors d'état de nuire, tout en le gardant sous la main. Bien sûr, il ne recevra aucune réponse .à moins que la suite des événements nen constitue la teneur. Un curieux incendie Conséquence en effet de cette démarche peut-être inconsidérée ou simple coïncidence ? Toujours est-il que le 24 mars 1824, un incendie détruit le théâtre qui jouxte sa maison, laquelle est endommagée, puis pillée, réduisant Naundorf et sa famille à l'indigence. Accusé d'avoir mis volontairement le feu, il est tout d'abord arrêté, puis acquitté. Il aura en conséquence toutes les peines du monde à se faire indemniser, et même partiellement, par son assurance. Ayant pu néanmoins réunir un petit capital, il achète un nouveau logis pour son atelier et sa famille et verse un premier acompte à cet effet. Suite à ce paiement, il est accusé davoir mis en circulation de faux thalers, la monnaie prussienne, et il est arrêté le 18 septembre 1824. Le procès de Brandebourg Le premier problème qui se pose aux juges est de déterminer à qui ils ont réellement affaire. Conformément aux instructions formelles qui lui ont été données par les services spéciaux prussiens, Louis maintient sans faiblesse quil se nomme Karl Wilhelm Naundorf et quil est natif de Weimar. Le magistrat instructeur lance donc une enquête pour vérifier cette identité dont laccusé ne peut - et pour cause ! - fournir aucune preuve. Les communes dans lesquelles il a séjourné ne possèdent pas dautre renseignement. Mais le pire est que la municipalité de Weimar déclare ne pas le connaître et ajoute quil na jamais existé de famille Naundorf sur son territoire. Louis a bien espéré que le gouvernement prussien, qui est - il le sait - parfaitement au courant de sa véritable origine, en fera part discrètement au juge. Mais il nen est rien et le magistrat le met sérieusement en demeure de dire la vérité. Pris au piège, Louis ne peut que déclarer pour finir quil est prince natif, mais sans préciser de quelle famille royale il est issu. Le magistrat lui enjoint alors de faire par écrit le récit de sa vie. Il en dicte le texte à un greffier, Monsieur von Rönne. Cest cet écrit qui est désigné sous le nom de récit de Brandebourg et qui a disparu depuis longtemps du dossier du procès. Nous nen connaissons de façon certaine que quelques bribes reprises dans le jugement dappel. Il est vraisemblable que ce récit a été très proche - mais nettement plus bref - de celui que nous connaissons sous le nom de récit de Crossen, lequel est le seul récit que le prince ait rédigé sans subir linfluence de son entourage. Si tel est bien le cas, il faut reconnaître quun tel récit nétait pas en mesure demporter la conviction du tribunal, et même au contraire de lindisposer par son côté irréaliste et, il faut bien dire, à première vue farfelu. Qui plus est, le récit de Crossen, le seul que nous connaissions bien, ne comporte aucune précision de lieu, de personne, ni de date. Le magistrat conclue tout naturellement que laccusé ment et veut cacher son passé dont il estime en conséquence quil doit être inavouable. Naundorf est condamné en première instance pour faux monnayage. Mais chacun sait quen matière judiciaire, seule compte réellement la décision finale. Et Louis fait appel. En appel, la Cour lacquittera du chef de faux monnayage, faute de preuves suffisantes. Qui plus est, son principal accusateur, qui avait reçu le paiement de Naundorf, arrêté lui aussi pour détention de faux thalers, sest pendu entre-temps dans sa cellule. En revanche, la Cour condamnera Naundorf pour sêtre dit, sans preuve, dorigine princière et avoir ainsi menti au tribunal pour dissimuler sa vie antérieure. La Cour estime quil a été en réalité un quelconque vagabond. Voici lessentiel de larrêt du Sénat suprême de la Chambre Royale de Justice de Berlin en date du 30 novembre 1826 : «Si les principaux indices qui s'inscrivent contre Naundorf, c'est-à-dire les allégations du dénommé Engel et la possession de faux thalers versés par lui en dépôt, n'arriveraient guère à permettre de prononcer une lourde peine sur la base de ces indices, cela doit néanmoins être le cas contre Naundorf, que l'on ne peut pas ranger dans cette catégorie, mais qui s'est rendu bien plus indigne de la confiance du tribunal par ses nombreux artifices et complicités durant l'enquête et qui, par ses nombreux mensonges sur son origine, a fait naître la très lourde suspicion qu'il voulait soustraire sa vie passée à l'appréciation du juge. En effet, de la description romanesque de la vie de l'inculpé, d'après le procès-verbal qu'il a lui-même dicté, il ressort seulement qu'il n'est pas natif de Weimar, ainsi qu'il le déclarait, et qu'il ne s'appelle pas Naundorf, alors qu'il prétendait se nommer ainsi. Le plus grand mystère règne sur son identité réelle et sur ce qu'il a pu faire jusqu'en 1810, année où, d'après les rapports de police, il est arrivé à Berlin en qualité de compagnon drapier. Il paraît en effet impossible d'accorder le moindre crédit à la description romanesque de sa vie où il déclare être un prince natif, vraisemblablement de la Maison Royale de France, et prétend avoir été enlevé de force de Paris lors de la révolution française, avoir circulé en des lieux inconnus avec de mystérieuses personnes inconnues, avoir débarqué deux fois en Europe de navires inconnus, s'être réuni à feu le duc de Brunswick et enfin avoir été gravement blessé au combat en un lieu inconnu, avoir été fait prisonnier, s'être enfui aux environs de Mayence et être arrivé à Berlin. Cela paraît bien plus être de hardis mensonges pour dissimuler son vagabondage. Ce style de vie paraît encore plus vraisemblable avec l'aveu de Naundorf lui-même qu'il serait arrivé à Berlin en 1810 avec un passeport que lui aurait prêté une personne inconnue. D'après ce qui précède, l'inculpé doit donc être considéré comme un individu dont on peut bien attendre un tel acte et une lourde peine est totalement fondée». Trois éléments sont à remarquer dans le texte de cet arrêt : Les juges disent que laccusé ressortit à la Maison Royale de France, alors que Louis na jamais fourni cette précision, malgré les questions pressantes qui lui ont été posées. Doù les magistrats tenaient-ils donc ce détail ? Il est dit quil est arrivé à Berlin en qualité de compagnon drapier. Or Louis na jamais fait aucun apprentissage dans aucune branche de lindustrie textile. Nous savons en revanche quil a fait un apprentissage complet dhorloger, qui correspondait à ses goûts et à ses dispositions. Cest bien comme colporteur dhorloge en bois quil a gagné sa vie à son arrivée à Berlin. Doù les magistrats tenaient-ils donc cette - fausse - précision ? Le tribunal déclare quil est arrivé à Berlin en 1810, l'année où, d'après les rapports de police, il est arrivé à Berlin. Or Louis, daprès le récit de Crossen, est arrivé en réalité à Berlin dans le courant de novembre 1809. Mais la police de la ville, à la demande de la municipalité, ne s'est intéressée à lui qu'en 1810. Les rapports de police sont donc datés de cette dernière année. Les hautes autorités prussiennes nauront donc pas bougé. Ce silence constitue de leur part une forfaiture, puisqu'elles possédaient toutes les preuves de l'identité de Louis depuis son arrivée en Prusse et que leur silence le fait condamner injustement pour avoir dit la vérité ! Rien ne les aurait empêchées donc de communiquer de façon confidentielle au tribunal les renseignements quelles détenaient, quitte à faire prononcer au préalable le huis clos. De leur fait, le prince aura été détenu de 1825 à 1828 à la maison de correction dAltstadt, dans la province de Brandebourg. Il est finalement grâcié le 5 mai 1828 et assigné à résidence à Crossen. Durant ce temps il sest acquis la sympathie du greffier von Rönne et de linspecteur général de la prison dAltstadt, le baron von Seckendorf. Entre-temps, Provence était décédé et Artois lui avait succédé. Doit-on dès lors considérer cette condamnation comme un simple (!) déni de justice ou... comme une mesure de protection à l'égard d'un homme dont les événements récents montrent qu'il est toujours menacé ? Il est encore beaucoup plus vraisemblable que, même si la dernière hypothèse a pu jouer un rôle, le but essentiel consistait à dévaloriser un prétendant - en réalité le Roi de droit ! - qui, en révélant au public sa véritable identité, pouvait brouiller les cartes dans toute lEurope. On la donc fait passer, de façon délibérée comme un vagabond hâbleur et demi-fou, à l'occasion incendiaire et faux monnayeur.
Or il existe des éléments qui amènent à conclure quil y avait - au moins ! - deux Karl Wilhelm Naundorf. Ce patronyme était en effet porté dans la province de Brandebourg, dans laquelle se trouve Berlin. Références bibliographiques : Les illustrations sont tirées de L'histoire de la France et des Français au jour le jour d'André Castelot et Alain Decaux, sauf la reproduction des signatures de Naundorf qui provient du livre (p.155) du dr J.H.Petrie |
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