LE PEINTRE DAVID

 

DAVID (Jacques - Louis), peintre né à Paris le 30 août 1748, mort à Bruxelles le 29 décembre 1825 (Ec. Fr.).

 David occupe dans l'histoire de l'art français une place prépondérante non seulement en raison de sa valeur personnelle, mais encore en considération de l'influence énorme qu'il exerça durant toute la première moitié du XlXè siècle. Les dispositions dont, très jeune, il témoigna pour la peinture, décidèrent sa mère à le placer chez Boucher, auquel l'unissaient quelques liens de parenté. Mais celui-ci, déjà fort âgé, ne voulut pas se charger de l'éducation artistique de ce jeune élève et lui conseilla Vien pour professeur. Il entra dans l'atelier de celui-ci en 1769 et deux ans après concourut pour le prix de Rome. L'Académie lui décerna le premier prix, mais Vien, que son élève n'avait pas avisé de son intention de concourir, en fut tellement froissé qu'il usa de toute son influence pour faire infirmer ce jugement. L'Académie, par déférence pour le désir du maître, sacrifia l'élève et lui attribua seulement un second prix, David tenta l'épreuve l'année suivante, mais n'obtint aucune mention. Son désespoir en fut tel qu'il songea à se tuer, puis voulut renoncer à la peinture. Le poète Sedaine le décida à persévérer. En 1773, nouvel échec, nouvel accès de découragement, mais enfin en 1774, David obtint, avec Les Amours d'Antiochus et de Siratonice, ce premier prix qu'il ambitionnait si ardemment. Il partit avec Vien qui venait d'être nommé directeur de l'Ecole de Rome. Il resta dans cette ville jusqu'en 1780 et fut, à son tour, agréé à l'Académie, puis reçu membre, en 1783.

La Révolution déchaîna chez lui un enthousiasme républicain auquel l'on doit son beau dessin du Serment du Jeu de paume. Mais son exaltation politique lui fit à peu près complètement abandonner son art. Il proposa à la Convention la suppression de l'Académie de Rome et vota la mort de Louis XVI.

Arrêté à deux reprises, il passa sept mois à la prison du Luxembourg, où il peignit l'unique paysage de son oeuvre. Nommé membre de l'Institut par le Directoire, il y connut le général Bonaparte qui voulut l'emmener avec lui en Egypte. Mais David, alors absorbé par son tableau Les Sabines, refusa cette offre. Lorsque Napoléon eut été sacré empereur, il nomma David son premier peintre et lui confia le soin d'exécuter son portrait et de reproduire divers épisodes de son règne.

A la chute de l'empire, David chercha à se faire oublier, mais il avait pris une part trop active à la période révolutionnaire pour que les Bourbons lui pardonnent. Condamné à l'exil, il gagna la Belgique, se fixa à Bruxelles et y peignit quelques portraits et nombre de toiles dont les sujets étaient empruntés aux scènes les plus banales de la mythologie. Il mourut en 1825. Le gouvernement français s'opposa à ce que ses cendres fussent ramenées à Paris et il fut inhumé en grande pompe à l'église Sainte-Gudule de Bruxelles. Considéré au point de vue de son talent artistique, David fut un grand maître, mais ne fut pas le peintre génial que l'on a voulu faire de lui. Son dessin correct, mais froid, ne suffit pas à compenser un manque total de sentiment, une ampleur théâtrale et sans expression et une couleur parfois assez peu heureuse. On a, par contre, beaucoup trop médit de son influence. Certes, il a créé un mouvement de renaissance antique qui fut intéressant et les sujets qu'il traitait avec talent, sans leur donner de la vie, sont devenus, sous le pinceau de certains de ses imitateurs, de mauvais décors de théâtre. Mais il faut noter qu'il a inauguré la réaction contre l'art précieux et mièvre du XVIIIè siècle. En ce faisant, il a été en quelque sorte le précurseur de l'école de 1830, et parfois méme, dans certaines de ses toiles, notamment dans L'assassinat de Marat et dans Les derniers moments de Michel Lepelletier, on trouve en lui une tentative de peinture réaliste. Il a voulu mettre la peinture au service de ses idées révolutionnaires, pouvant ainsi se définir comme "peintre engagé", mais en même temps, il voulait admirer l'art de l'Antiquité romaine. Il en résulte des oeuvres, pour la plupart froides, qui ont été très vite démodées, et aussi, plus rarement, des oeuvres saisissantes comme Marat assassiné. C'est avec une plus grande liberté qu'il fit des portraits, et dans son art, c'est ce qu'il a le mieux réussi. Il a donné à ses personnages, Madame Séruziat, Madame Récamier, pour ne citer que ceux-là, une fraîcheur, une simplicité, une impression de vie qui ne se retrouvent nulle part ailleurs dans son oeuvre. (...)

Extrait du BENEZIT

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Cliquez sur l'un des portraits ci-dessus

1 - Un portrait de Louis XVII inconnu

 La science iconographique restera toujours d'un grand secours dans la recherche historique. Certains auteurs, par leur négligence à en utiliser les sources, ont quelquefois perdu le meilleur moyen d'étayer leur argumentation. C'est ainsi qu'un portrait de Louis XVII, reconnu depuis de longues années, s'est trouvé victime d'un tel oubli.

M. Moussalli a pris l'initiative de le signaler au public et les experts lui ont aussitôt témoigné le plus vif intérêt : il s'agirait en l'espèce d'une oeuvre de Louis David. Moussalli nous expose ici les raisons qui permettent de l'attribuer au grand peintre révolutionnaire et nous dit en quoi ce portrait est émouvant.

En 1915, sur le front de la Somme, mourait François Laurentie qui eut l'ambition de grouper tous les documents concernant Louis XVII tant iconographiques que pièces d'archives, dans des recueils susceptibles de faciliter leur confrontation.

Cet ancien normalien, dont le grand-père, légitimiste notoire, était rédacteur principal au journal La Quotidienne au milieu du siècle dernier, reçut par ailleurs du prince Sixte de Parme la mission de procéder à l'inventaire des archives de Frohsdorf, résidence en Autriche du comte de Chambord, ce qui étendit encore le champ de ses investigations.

En classant les éléments iconographiques, il chercha à établir un certain ordre pour leur enchaînement et crut aboutir à montrer que le Dauphin, séparé de sa mère, après une époque de vie suffisamment surveillée et tolérable, fut, à la suite du départ de Simon, réduit à l'état de déficience et d'atonie qui en ont fait le spectre rachitique et inconscient des derniers temps de sa vie au Temple, ce qui lui semblait permettre de conclure à la mort dans le sens de la version officielle.

"Dans ces documents figurés, si tout est tragique, tout est instructif. Il nous semble surtout que, de la naissance à la mort, l'unité physique de l'individu ressort avec évidence de la multitude évoluante de ses portraits" a écrit lui-même Laurentie dans son précieux ouvrage ("Louis XVII d'après les documents inédits" Emile Paul frères, Ed. Paris 1913.).

Nous reprochons à l'auteur de ce grand travail en deux volumes de n'avoir pas eu, sur le plan de la critique historiique des oeuvres d'art et de l'identification des portraits présentés, une éducation suffisante lui permettant de faire la discrimination entre les oeuvres présentant des qualités de véracité objective et celles de seconde main faites surtout afin de populariser les traits du prisonnier du Temple dans des buts de propagande légitimiste.

A la faveur de ses recherches et enquêtes, Laurentie eut le loisir d'acquérir pour sa part personnelle un certain nombre d'effigies, objets et documents relatifs à sa thèse. Parmi ceux-ci, nous croyons que, soit par une malencontreuse négligence, soit du fait des vicissitudes de son destin, il différa de publier (la restauration n'en étant pas encore faite) un portrait des plus déterminants pour la connaissance des traits du jeune roi. Il en parle cependant déjà longuement dans la légende du n° 105 de son ouvrage, concernant la sanguine appartenant à M. de Manteyer: "Nous n'avons pas cru devoir reproduire auprès de cette sanguine un autre portrait de l'enfant (peinture à l'huile sur toile) qui remonte à cette époque et qui donne à Louis XVII un visage aux traits semblables. Ce portrait est curieux parce qu'il est peut-être le seul qui représente le petit roi en habits de deuil. Mais il a subi deux réparations, c'est-à-dire deux altérations successives dans les cheveux. Le visage n'a pas été touché, mais une mèche longue épaisse et bouclée a été ajoutée sur le front. Elle remplaçait elle-même un bonnet rouge, ajouté au tableau primitif par quelque sans-culotte." Ainsi le meilleur document concernant la physionomie de Louis XVII, que François Laurentie eut l'heur de posséder, n'a point paru parmi les planches de son ouvrage.

Ce personnage si vivant

Nous allons chercher à expliquer que ce portrait oublié de "Louis XVII en costume de deuil" fut vraisemblablement exécuté par un artiste qui eut accès à la prison du Temple vers les derniers mois de 1793 (septembre-octobre).

Les effigies du malheureux petit prisonnier qui ont circulé aux fins de propagande monarchiste sont, pour la plupart, réalisées d'après des documents ou des souvenirs de l'enfant-roi à cet âge.

Le seul portrait offrant pour cette époque du destin du jeune prince des caractères suffisants d'authenticité pour que nous puissions y voir une peinture faite sous l'inspiration directe du modèle semble bien celui qui nous étudions ici : quelle différence, par exemple, entre ce personnage si vivant figurant sans attributs ni décorations, et la toile du Musée Carnavalet, autrefois attribuée à Vien fils, et jugée maintenant comme une oeuvre médiocre, faite vraisemblablement d'après un costume du Dauphin posé sur un mannequin portant perruque : les bras écartés du corps dans une attitude à la fois incommode et invraisemblable dans leur rigidité, ne peuvent appartenir à un personnage qui pose ; les cheveux en étoupe, et d'une masse artificielle prouvent à l'évidence le bien-fondé de ces objections.

Il est actuellement avéré qu'on ne retrouvera pas à la faveur d'une nouvelle restauration du tableau de "Louis XVII en costume de deuil" toutes les qualités de l'oeuvre première en son état primitif, parce que les multiples interventions précédentes ont quelque peu atténué les caractéristiques de la technique de l'artiste et le brio de l'exécution. Néanmoins, sur le double plan historique et pictural, il reste aux esprits critiques des éléments d'investigations et de recherches suffisants pour la détermination de l'auteur du portrait.

Dans l'alternance des passions humaines à travers les générations, les oeuvres d'art relatives à des personnages historiques subissent maintes vicissitudes dont elles deviennent parfois les victimes ; elles ne nous en deviennent pas moins chères, et nous devons souvent y attacher une ferveur ainsi qu'à des reliques.

Ces réserves faites, nous croyons avoir assez d'expérience pour faire remarquer la science et l'extraordinaire sûreté de l'écriture plastique, qui prouvent l'oeuvre d'un maître au talent exceptionnel.

Précisons que cette toile a subi un premier doublage nécessité par les deux légers accrocs dans les cheveux ; celui-ci fut effectué sur un tissu de jute d'un grain grossier qui le marqua de gaufrures maintenant impossibles à atténuer, ce qui a porté préjudice à la vision intégrale des touches délicates de son modelé et à la souplesse de son graphisme ; d'autre part, les repeints sur les joues et le front réduisent pour ces parties la saveur de leur exécution première.

Toutefois, en faisant la part de ces légères altérations, nous pouvons, d'après les données historiques, présumer avec assez de précision la date d'exécution de ce tableau, et peut-être aussi arriver à situer dans quel groupe d'artistes il faut en chercher l'auteur.

La reine, le 21 janvier 1793, demanda et obtint des vêtements de deuil pour elle, ses enfants et sa soeur. L'arrêté du Conseil Général de la Commune (23 janvier 1793) accordait "un habillement de deuil très simple" pour elle, sa soeur et ses enfants.

David l'auteur ?

Le jeune roi ayant d'abord porté le deuil de son père, fut dans la suite obligé par Simon de le quitter en été 1793 : "Simon lui mit la carmagnole et le bonnet rouge ; puis il lui rendit ses vêtements noirs pour qu'il portât le deuil de Marat" (15 juillet de la même année).

Ceci localise nettement les dates d'exécution du portrait.

On est tenté d'en rechercher l'auteur dans l'entourage de David et même de supposer que ce soit David lui-même, vu les caractères de style de l'oeuvre et l'importance des présomptions en la faveur de celui-ci : Nous savons en effet qu'il a historiquement assisté à l'interrogatoire de Louis XVII, le 6 octobre 1793, ainsi qu'en font foi les deux signatures du peintre apposées sur les procès-verbaux authentiques où les témoins, dont David, ont signé à deux reprises sous l'écriture hésitante de Louis-Charles Capet.

L'auteur du Marat serait-il venu au Temple avant cette date, pour des séances de pose ? On pourrait de ce fait expliquer aussi le mauvais dessin fait par son élève Moriès (de la collection de M. de Manteyer) publié également par Laurentie, attendu qu'il était d'usage pour les portraitistes travaillant en ville, de se faire accompagner par un élève chargé des menus travaux pendant les séances de pose.

A une période où l'accès de la prison du Temple était des plus sévèrement contrôlé, son élève n'aurait jamais pu y accéder seul et de plein droit. Rien d'étonnant non plus que le fervent Jacobin qu'était David, élu député à la Convention en septembre 1792, qui sut nous donner par la suite cet émouvant croquis de Marie-Antoinette assise sur la charrette la conduisant au supplice, ait saisi quelque occasion de faire du petit prisonnier du Temple une peinture que permettaient les longues séances d'interrogatoires, telles que celle du 6 octobre 1793. Le charme de ce visage d'enfant qui opéra sur le sinistre Hébert ne pouvait laisser indifférent le regard d'un grand peintre.

Reçut-il de la Convention mission de faire un portrait motivé par les instantes requêtes que Marie-Antoinette adressa à l'Assemblée pendant tout le mois de juillet pour obtenir de voir son fils ?... L'inscription apposée au dos du portrait de Carnavalet, attribué à Vien fils, laisse présumer la tradition d'une commande de la part de la Convention. Si vraiment une commande a été passée, le peintre qui l'aurait reçue serait bien plutôt le même qui fut chargé de représenter Le Pelletier de Saint-Fargeau assassiné, Marat dans sa baignoire, et un peu plus tard Joseph Barra, ce peintre qui eut si longtemps la faveur de l'Assemblée, et dont le talent de portraitiste était incontesté.

Cette séance du 6 octobre 1793 est un des plus dramatiques épisodes de l'histoire du jeune prisonnier. Cette scène dont témoignent les archives, et que les historiens nous rendent fort vivante, doit en somme fixer le sort de la reine par un jugement que certains d'entre eux estiment concerté d'avance par le Tribunal Révolutionnaire. Celui-ci se serait ingénié à trouver contre elle un témoin à charge irréfutable en la personne de son propre fils.

L'abominable forfait...

L'abominable forfait va s'accomplir. C'est un beau dimanche d'automne et le clair soleil illumine joyeusement les hauts murs de la tour. Chaumette et Hébert arrivent au Temple. Ils ont amené le maire Pache avec eux ainsi que quelques membres de la Commune. Dans l'appartement de Simon, on s'installe commodément autour d'une table. C'est un nommé Laurent qui tient la plume. Alors on fait comparaître le "petit Capet" et on lui fait subir pendant plus de deux heures un interrogatoire d'une nature si abominable qu'aucun biographe n'osera le reproduire.

Ah! il ne s'agit plus de jouer aux dames avec cet "enfant de la Tour" qu'Hébert trouvait si beau et si intéressant aux premiers jours de la captivité ; il ne s'agit plus de lui faire dire gentiment que "c'est dommage que le peuple soit malheureux" ou autre fadaise de ce genre. L'enfant avait été soigneusement préparé, peut-être même a-t-il été enivré d'avance. Il répond comme on veut qu'il réponde. Assis sur un fauteuil trop haut, ses petites jambes balancent dans le vide. IL accuse sa mère de toutes les infamies dont on lui a suggéré les honteuses descriptions. Il récite bien sa leçon, n'hésite devant aucun mot, prononce des phrases qu'il ne comprend pas, qu'un enfant de son âge, même précocement perverti, ne peut comprendre.

Et on inscrit tout cela froidement dans le jargon officiel d'un procès-verbal et on signe l'ignoble papier. Pache, Chaumette, Hébert (et le peintre David) apposent sans rougir leur nom au-dessous de la signature péniblement tracée par l'enfant royal "Louis - Charles Capet". Signature si informe, si étrangement différente de l'écriture appliquée des anciens devoirs de l'écolier, qu'il faut bien croire qu'on l'a abruti de coups ou de boisson pour obtenir ce qu'on voulait de lui... I'arrêt de mort de sa mère.

Car la scène n'est pas finie. Le lendemain on recommence. Cette fois il s'agit de confronter les déclarations de Louis-Charles avec celles qu'on espère arracher à sa soeur Marie-Thérèse et à sa tante Mme Elisabeth. La jeune fille à son tour doit entendre les turpitudes qu'elle ne comprend pas. L'enfant répète tout, il déclare sans sourciller que sa mère échangeait une correspondance active avec l'étranger. Il a vu les billets, il donne des noms, des précisions, des dates. Avec cela enfin on va pouvoir envoyer l'Autrichienne à l'échafaud !

Il faut dire d'ailleurs et répéter que 1'accusation la plus grave, dont les termes conservent encore une certaine équivoque, est mentionnée en marge, c'est-à-dire après coup, et seulement paraphée par l'enfant. Tout honnête critique doit donc la considérer comme interpolée. C'est une création d'Hébert, dont le nom seul souille la plume.

Aucun historien du peintre Louis David, à notre connaissance n'a jamais mentionné la présence de l'artiste à cette séance du 6 octobre. On aurait peine à supposer qu'il est venu "par une curiosité malsaine" comme le suggère la comtesse J. de Pange.

Nous présumons que, venu pour l'une des poses ou l'achèvement de ce portrait, David se trouva fortuitement mêlé à cet interrogatoire et amené à apposer sa signature à deux reprises sur le procès-verbal du 6 octobre. Sa signature est absente de celui du lendemain.

Les événements se précipitèrent : la reine fut exécutée le 16 octobre. Tout le monde se rappelle ce qu'elle pensait de cet interrogatoire. Le matin même de son supplice, elle avait écrit à sa belle-soeur, qui ne la lira jamais, une longue lettre mouillée de larmes... "J'ai à vous parler d'une chose bien pénible à mon coeur. Je sais combien cet enfant doit vous avoir fait de peine. Pardonnez-lui, ma chère soeur ; pensez à l'âge qu'il a, et combien il est facile de faire dire à un enfant ce qu'on veut, et même ce qu'il ne comprend pas."

Les portraits de Louis XVIl

Après la chute et la mort de Robespierre, David lui-même fut emprisonné à deux reprises en cette période peu avouable de sa vie.

Il avait livré à la Convention en mars 1793 le portrait de Le Pelletier de Saint-Fargeau (commandé en janvier) ; il livra le Marat le 14 octobre. Le Barra commandé au début de 1794 resta inachevé dans son atelier, où restèrent sous l'Empire les deux premiers tableaux qui lui avaient été rendus en 1795. Il les dissimula ensuite sous une couche de céruse, pour les confier au peintre Gros, lors du retour des Bourbons quand il se crut obligé de partir en exil.

Les vicissitudes du "Louis XVII" que nous attribuons à David peuvent être comparées à celles que subirent ces oeuvres du peintre.

Il existe une autre présomption de grands poids : c'est la tradition perpétuée par plusieurs des historiens de David, selon laquelle celui-ci aurait peint un portrait du Dauphin. L'un des derniers en date, Klaus Holma, en parle dans son ouvrage sur "David". En raison de son attitude vis-à-vis de la royauté et de l'Académie après 1789 il est permis de croire que l'artiste n'aurait certainement pu peindre le Dauphin en d'autres circonstances.

Le signalement du fils de Louis XVI est assez aisé à donner : il avait le teint coloré de sa mère ; les yeux bleus, grands et écartés ; les cheveux blonds ; le nez droit, point bourbon, presque retroussé à l'extrême pointe ; les pommettes quelque peu saillantes ; la bouche forte avec un commencement de prognathisme autrichien. Tous ces caractères se retrouvent dans ce portrait-ci.

En ce qui concerne la ressemblance, ce "Louis XVII en costume de deuil" peut être comparé au buste présenté par De Seine, sculpteur du roi, sous le n° 250 au Salon de 1791, qui se trouve actuellement au musée de Versailles ; on peut également le rapprocher du visage de Marie-Antoinette dans le Portrait de Marie-Antoinette et sa famille par Mme Vigée-Lebrun. La similitude de pose et d'éclairage permet la comparaison des traits et exalte à un haut degré les ressemblances du visage dans tous ses détails.

Les portraits les plus répandus de Louis XVII sont ceux de Kucharsky et de ses copistes ; ils forment une série d'oeuvres très apprêtées, d'une valeur documentaire très relative : ces peintres de cour travaillaient souvent avec des croquis pour composer des effigies d'apparat théâtrales et conventionnelles. L'origine semble être une toile ovale de très petit format (176 mm X 146 mm), signée Kucharsky 1792, ayant appartenu à Mme de Cars héritière de la Duchesse de Tourzel, gouvernante des Enfants de France, son aïeule, qui l'avait elle-même reçu de la reine.

Comment expliquer le charme de ce portrait ?

Comment expliquer le grand charme émanant de ce portrait longtemps perdu, qui aurait été exécuté dans un cadre à la réputation aussi sinistre que le Temple ?

Trois éléments glanés dans les pièces d'archives, donnent quelques aperçus sur les conditions de vie de Louis XVII à cette époque, et permettront de comprendre comment nous pouvons le retrouver avec ce visage plein de fraîcheur, cet enjouement dans l'expression, et cette décence dans la toilette.

Il est à présumer que le comportement de Simon ne fut pas toujours celui que nous laisse la légende. L'enfant eut à subir des alternances de bienveillance et de sévérité.

Quelles consignes cet éducateur improvisé avait-il reçues des autorités qui assumaient la garde du Dauphin ? Au début de sa détention, chercha-t-on à le ménager et à attirer sa sympathie, dans un dessein machiavélique comme le supposent certains auteurs afin d'exploiter et obtenir son témoignage ? Pourquoi négligea-t-on par la suite de le soigner ? Des multiples problèmes que pose l'énigme du Temple, ce n'est pas le moins tragique.

Nous avons les preuves matérielles de l'empressement de Simon auprès de Louis XVII dans les premiers mois de sa tutelle. Il n'a pas toujours été l'intraitable geôlier que décrit la légende. En effet, dans les comptes de Mathey, concierge de la Tour, nous trouvons :

Du 5 juillet, donné pour Simon, pour des oiseaux, 9 livres... Du 6, pour du grain pour le petit... Du 11, deux poulets pour le petit... pour de l'orge pour les poulets du fils Capet... Du 15, pour de la graine pour chez le petit... Du 20, payé des fleurs pour mettre en caisse chez le petit... Du 21, deux baziliques (sic) pour le petit...

Des oiseaux, des fleurs, voilà des choses bien inattendues. L'enfant venait d'être séparé de sa mère ; il est évident que c'était un moyen facile de le distraire. Peut-être aussi Chaumette, magister manqué, a-t-il voulu appliquer pour lui ses idées sur l'éducation selon Jean-Jacques.

Le 27 août, on lui avait acheté quatre paires de pigeons et une paire de tourterelles il ne manquait pas même de jouets. Dans les dépenses de Fontaine pour août et septembre de cette même année, on trouve mentionné en septembre "des jeux pour le fils Capet".

Une autre dépense considérable relevée par peu d'historiens est le mémoire de Bourdier, horloger-mécanicien quai de l'Horloge n° 56 rédigé pour réparation faite en Nivôse An II à une cage contenant des oiseaux artificiels ; en voici le texte.

Note de ce que j'ai fait à une cage qui m'a été remise par le citoyen Simon et le Conseil du Temple à moi, Bourdier, horloger-mécanicien.

Du 29 Nivôse, I'An 2è... etc...

Pour avoir fait un tambour au barillet dans lequel se met le ressort que j'ai fourni aussi... 160 livres.

De plus avoir fait la fusée ou entrée sur laquelle se met la corde et avoir fait les engrenages et rajusté la vis sans fin, et lui faire son effet avec la détente, et avoir fait une détente pour faire jouer continuellement pour instruire les oiseaux ; et avoir fourni la corde et fait la détente qui est dans la cage où les oiseaux en allant manger ou boire se mettant sur le bâton font jouer le jeu, pour ce...100 livres.

Cage

De plus, pour avoir raccommodé la porte et remis les fils qui manquaient en argent, et avoir remis deux verres au pied qui était cassé, et avoir rajusté les deux bâtons tournant dans la cage, et avoir fait une guirlande et son noeud de ruban ciselé et doré d'or moulu, et rajusté la-dite guirlande... pour ce... 40 livres.

Total: 300 livres.

Ce mémoire fut réglé par Poyet. En monnaie de notre époque, cela fait près de soixante mille francs. Voilà qui peut surprendre et frapper l'imagination...

Malgré une santé précaire qui nécessitait une surveillance permanente, l'enfant pouvait donc conserver un fond de caractère enjoué, turbulent et rieur.

Bien qu'il ne nous en ait laissé aucune relation écrite connue, il est certain que David se trouvait présent à l'interrogatoire du 6 octobre. L'auteur des Sabines après ses deux emprisonnements valus par son rôle à la Convention, s'était promis de renoncer à toute manifestation de ses opinions politiques et resta muet sur cet événement. Le seul témoignage qu'il nous en a laissé, il faut le voir en ce prestigieux portrait, plein de vérité, de l'enfant du Temple, qui se détache comme un trait de lumière sur cette brumeuse page d'une période pénible de notre Histoire.

Ulysse MOUSSALLI

MIROIR DE L'HISTOIRE N° 60 de Janvier 1955

2 - Commentaires

La peinture que nous reproduisons ci-dessus n'est pas sans entraîner quelques réticences, comme d'ailleurs la plupart des œuvres représentant le Dauphin ou Louis XVII.

La première question qui se pose concerne le cheminement d'un tableau qui, selon toute vraisemblance peint à Paris par un artiste parisien, se trouve actuellement au Musée de Narbonne. Elle a été posée au Conservateur de Musées de Narbonne dont la réponse, ci-après, explique clairement cette filiation :

... Ce tableau est entré en collections en 1859, légué par l'ancien président de la société savante, alors tutélaire des musées : M. Maurice Peyre. L'œuvre portait au dos du châssis une note manuscrite, " Portrait de Monseigneur le Dauphin peint par Louis David, 1789" ... Ce don, toutefois, faisait suite à l'arrivée en collection de plusieurs " David ", entrés au musée en 1840, grâce à la bienveillance d'un peintre narbonnais, Mathieu Barathier (1784 - 1867), élève du maître. Ce même Barathier, artiste éclairé, participait à l'aréopage de la société savante qui présidait aux destinées du musée. On conçoit mal qu'il ait pu, en 1859, laisser entrer un faux David alors qu'il était familier du peintre dans les décennies 1800-1820...

Une deuxième question concerne la datation. Le caractère joufflu de l'enfant semble montrer un âge maximal de cinq ans s'accordant avec les indications précédentes. Mais, à quelle occasion David aurait-il eu un contact suffisamment prolongé avec l'enfant royal pour le peindre ? Il faut dire que ses tendances jacobines ne le prédisposaient pas à bénéficier des faveurs de la famille royale.. Toutefois, cela n'est pas impossible car David, primé en 1774 par l'Académie, devait jouir d'une certaine notoriété et donc, de relations.

On admet habituellement que cette rencontre n'aurait pu avoir lieu que les 6 et 7 octobre 1793, lors de l'interrogatoire de " Louis XVII ", parodie de justice sordide destinée à obtenir la condamnation de Marie-Antoinette et de laquelle Louis David n'est pas sorti grandi par sa complicité. Dans le but d'accréditer cette date, c'est-à-dire un âge de huit ans et demi pour l'enfant, certains ont pu qualifier de bouffissure ce qui n'est que le signe de la prime enfance.

Ajoutons que le catalogue de Bénézit ne fait allusion à un tel tableau du Dauphin par David ni dans sa biographie reproduite dans cette fiche ni dans la recension des musées de France et d'Europe où l'on voit, entre autres, à Aix : " Portrait d'un jeune garçon ", à Narbonne : " Portrait d'un élève ", à Rouen encore : " Portrait d'un jeune garçon ". Et c'est tout.

Il nous reste le caractère frais et spontané de ce jeune enfant, vraisemblablement le Dauphin Louis-Charles.

Autres effigies de Louis XVII attribuées à Louis David

3 - "Crayon très effacé et peut-être médiocrement ressemblant, mais intéressant parce que Louis XVII est ici représenté avec les cheveux complètement coupés. C'est, semble-t-il, le seul portrait qui le montre ainsi. Simon l'avait rasé à la fin de l'été de 1793.

Il faisait partie de la collection de M. de Beauchesne.

Appartient à Mme la Comtesse de Bellaigue de Bughas, née de Beauchesne."

Extrait du Louis XVII de F.Laurentie, planche n°116, chez Emile-Paul Frères, Editeurs, Paris 1913. Se trouve reproduit dans le Louis XVII de X.de Roche, p. 484. Editions de Paris, 1986 ; et dans Historia n°72 de novembre 1952.

4 - Attribué à David (collection de M. d'Estailleny Chantereine).

Reproduit dans "Louis XVII, la véritable clef de l'énigme", p. 49 et couv., Louis Barbier Editeur, 1982. Aussi dans "Louis XVII" d'André Castelot, p.157, Librairie Académique Perrin, Paris, 1990.

5 - " Ce portrait passe pour être le dernier connu sur le dauphin. Il n'est malheureusement pas signé. On peut émettre l'hypothèse qu'il fut fait par DAVID vers la fin de la détention de l'enfant du Temple.

Le premier propriétaire est connu. Il s'agit de BONNEFOY-DUPLAN dont on sait qu'il avait accès facile au Temple. Puis il parvint dans la famille LAUVERNIER où il se transmit de père en fils..."

Extrait de "La Presse et Louis XVII", Tome IV de Jacques Hamann, p.43, 1995.

Aussi dans " Le mystère de Louis XVII" d'André Castelot, p.97, Librairie Arthème Fayard, 1953.

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