LA DERNIÈRE CHANCE

Le départ pour Varennes

Après le départ manqué pour Saint-Cloud, Marie-Antoinette parvient à convaincre le Roi qu’il est nécessaire de quitter Paris.
Durant les neuf semaines qui séparent le premier événement (18 avril 1791) du second (21 juin 1791), la Constituante, à la veille de se séparer, retire le 5 juin le droit de grâce au Roi et, le 13, vote un décret exigeant des officiers une déclaration d’obéissance et de fidélité à la constitution.

Les préparatifs

À la vérité, ce départ de la famille royale avait été envisagé depuis longtemps. Les personnes lucides dans son entourage se rendaient bien compte de la faute qu’avait commise le Roi en se laissant enfermer dans le Paris révolutionnaire. Des bruits persistants laissaient entendre que cette fuite était proche.
Une berline de voyage avait été commandée au célèbre carrossier Jean Louis dès le 22 décembre 1790. Elle était destinée à une certaine baronne de Korff, veuve d’un colonel russe, qui désirait regagner la Russie. Le carrossier est quelque peu surpris par les dimensions souhaitées pour la voiture, qui est achevée le 12 mars 1791. Les essais de ce volumineux véhicule, le 2 juin, sur la route de Châtillon, ne passeront pas inaperçus ! C’est Axel de Fersen qui s’est chargé de cette transaction.


Le projet lui-même a été mis au point par le Roi, l’évêque de Pamiers, le marquis de Bouillé et Axel de Fersen. Les deux derniers nommés échangeaient des lettres chiffrées à ce sujet. Les deux hommes se rencontrèrent de nuit à Paris, où Bouillé s’était rendu tout exprès, dans une maison retirée du faubourg Saint-Honoré, au coin de la rue de Matignon. Le point le plus épineux était de faire sortir la famille royale du Palais des Tuileries fortement gardé.
Axel a fait préparer dans les appartements royaux des issues secrètes. Une armoire confectionnée par Trompette, menuisier du Roi, de façon à pouvoir être traversée comme une porte est placée dans l’appartement de Madame Élisabeth. D’autre part, une pièce de l’appartement vide de Monsieur de Villequier, premier gentilhomme de la Chambre, qui vient de partir en émigration, donne sur la cour des Princes et n’est pas gardée.

Le marquis de Bouillé proposa deux itinéraires : le premier, par Reims et Stenay, présentait l’inconvénient de traverser la ville du sacre où le Roi risquait d’être reconnu (l’événement datait quand même de 15 ans !), mais en revanche l’avantage d’être peu fréquentée, ce qui rendait les relais de chevaux plus faciles, et de pouvoir être protégée par le régiment Royal-Allemand, caserné à Stenay ; le second traversait Châlons et poursuivait par Varennes et Dun qui ne possédaient pas de relais de poste ; en outre, la topographie de Varennes faisait de la ville un vrai coupe-gorge. Louis XVI choisit néanmoins la seconde route.
Bouillé conseille alors au Roi de prendre avec lui un homme courageux connaissant bien cette route et propose le marquis d’Agoult, ancien major des gardes françaises. Le Roi refuse car il aurait alors fallu se séparer de Madame de Tourzel, gouvernante des enfants de France, dont la charge implique qu'elle ne les quitte en aucun cas. Louis XVI se borne à demander à d’Agoult de lui désigner trois gardes du corps, qui seront chargés de commander les chevaux aux relais, de payer les postillons et, au besoin, de protéger la famille royale. Ces trois hommes, François Melchior de Moustier, François Florent de Valory et Jean François de Malden, ne seront prévenus qu’au dernier moment, ce qui n’empêchera pas qu’ayant deviné l’objet de leur mission ils aient bavardé. Ils sont certes très dévoués au souverain, mais ne lui ont jamais parlé. Qui plus est, aucun d’eux ne connaît cette route ! Enfin, priés par Louis XVI de se munir de livrées de courrier, ils les choisissent jaunes, la couleur de la Maison du prince de Condé parti en émigration, bien trop connue dans la région à parcourir !
Madame Élisabeth sera du voyage, ce qui portera à six personnes le nombre des voyageurs dans la berline. On emmènera en outre deux femmes de chambre qui voyageront dans un cabriolet.
Il faudra donc à chaque relais six limoniers pour la berline, trois chevaux pour le cabriolet et deux bidets de poste pour les courriers. De Paris à Châlons, il y a douze relais de poste : cela représente un total de 132 chevaux. On aura affaire à 36 postillons (3 par poste) et à une foule de palefreniers curieux et bavards qui dételleront et atelleront les chevaux.
De quoi ne pas passer inaperçus !
Il est vrai que le Roi ne se déplaçait jamais sans emmener avec lui quelques milliers de personnes. En fait, Louis XVI, mis à part son voyage à Cherbourg en 1786 pour inaugurer le port, bornait ses déplacements entre Versailles, Marly et Fontainebleau pour l’essentiel : il n’a jamais eu la curiosité de visiter son royaume. Partir dans ces conditions devait donc lui paraître spartiate.
Mais Bouillé et Fersen avaient l’habitude de voyager et connaissaient parfaitement les conditions dans lesquelles s’opéraient à l’époque des déplacements de cette importance.

Le voyage devait se poursuivre sans danger après Châlons parce que là commençait la zone de commandement du marquis de Bouillé. Dès Pont-de-Somme-Vesle, où se trouve le premier relais après Châlons, les voyageurs trouveront quarante hussards commandés par le duc de Choiseul qui les escorteront jusqu’à Sainte-Menehould, où quarante dragons du Régiment-Royal prendront la relève. Les hussards de Choiseul auront alors pour mission de barrer, sans laisser passer qui que ce soit, la route de Verdun et le raccourci qui, à travers bois, mène de Sainte-Menehould à Varennes. L’escorte se gonflera ensuite au fil de la route jusqu’à Montmédy. La famille royale s’installera au château de Tonelle, à une lieue et demie de la ville.


À cette époque, il fallait un passeport pour circuler, même sans franchir la frontière. Fersen présente donc à la signature du ministre Montmorin un document établi au nom d’une certaine baronne de Korff, veuve d’un colonel russe, qui désire se rendre à Francfort avec deux enfants, une femme, un valet de chambre et trois domestiques. On ne sait pourquoi l’une des femmes qui voyageront dans la berline (Madame Élisabeth et Madame de Tourzel) n’est pas mentionnée, pas plus que les deux femmes de chambre qui utiliseront le cabriolet.

Le départ est fixé au 6 juin. Mais on décide de repousser cette date afin de toucher, le 7 ou le 8, les deux millions de la liste civile. On s’aperçoit ensuite qu’une femme de chambre très démocrate, Madame Rochereuil, chargée de la chaise percée du Dauphin, ne doit quitter son service que le 11. Par prudence ( !), on décide d’attendre son départ.
On arrête finalement la date du 19 et Bouillé prend ses dispositions, répartissant ses détachements comme prévu. Mais Madame Rochereuil prolonge soudain son service jusqu’au 20. Il est donc décidé de partir le 20, entre 23 et 24 h 00. Ce dernier retard contraria vivement Bouillé qui craignait qu’en prolongeant le séjour de ses troupes le long de la route il n’inquiète les populations.

Outre les bavardages, outre les essais de la berline, outre les retards, Marie-Antoinette commet l’imprudence d’envoyer en Belgique un énorme nécessaire, soi-disant à sa sœur Marie-Christine. Le bureau de l’assemblée, la municipalité de Paris, l’état-major de la garde nationale croulent sous les dénonciations. Elles ne sont pas prises au sérieux : il semble impossible que Louis XVI puisse sortir des Tuileries.

Le départ


Il est précédé d’une imprudence catastrophique commise par Marie-Antoinette. Elle estime ne pas pouvoir se passer à Montmédy des services divins de son coiffeur, Léonard, celui-là même qui, depuis quinze ans, impose à toutes les femmes de la Cour des coiffures absolument extravagantes.
Dans l’après-midi du 20 juin, un valet de pied vient le chercher dans la petite chambre qu’il occupe sous les combles du château : la Reine le demande de toute urgence. Sitôt introduit dans le salon où la famille royale est réunie avant le repas, Marie-Antoinette lui confie une lettre à porter séance tenante au duc de Choiseul, rue d’Artois, avec cette recommandation : Obéissez-lui exactement comme à moi-même, sans réflexion et sans la moindre résistance.
Un quart d’heure plus tard, le duc brûle la lettre devant Léonard, qui s’étonne, et embarque le malheureux dans son cabriolet qui prend la route de Bondy. Devant les lamentations du coiffeur, Choiseul lui apprend qu’il l’emmène vers la frontière où il doit trouver une lettre de la plus haute importance pour la Reine. Le duc ne pouvant la lui remettre lui-même, la Reine a choisi Léonard comme messager.

À 18h00, Marie-Antoinette emmène ses enfants se promener au Jardin Boutin, à la chaussée d’Antin, où ils prennent leur goûter. À son retour, vers 20h30, la Reine envoie quelqu’un - on ne sait qui - chercher les gardes du corps qui sont introduits aux Tuileries où le Roi leur apprend enfin quel sera leur véritable rôle. Malden y reste, caché dans un cabinet, et les deux autres vont rejoindre Fersen qui les attend près du Pont Royal avec une citadine (un vieux carrosse de louage) et tous trois regagnent la rue Matignon.
De là, Moustier et Valory partent avec Balthazar, le cocher de Fersen, et cinq chevaux, chercher la berline, chargée de victuailles, et stationnée au 25 rue de Clichy, chez un ami. Ils doivent la conduire tout en haut du faubourg Saint-Martin, à l’entrée de la route de Metz. Pendant ce temps, Fersen, qui s’est grimé, revêt un costume de cocher de fiacre, monte sur le siège de la citadine et prend place, en dernier, dans la file des voitures des visiteurs et fonctionnaires venus assister au souper et au coucher du Roi. Il est 21h45.

Vers 22h00, Marie-Antoinette quitte le salon et gagne le premier étage où elle ordonne à la femme de chambre de lever Madame Royale et de la revêtir d’une petite robe d’indienne qu’elle a apportée. Puis la Reine se dirige vers l’appartement du Dauphin qui est déjà réveillé. On va dans une place de guerre où il y aura beaucoup de soldats, lui dit la Reine. Tout heureux de cette nouvelle, lui qui s’intéresse déjà à tout ce qui est militaire, Louis Charles demande ses bottes et son sabre. Mais ce n’est pas son uniforme de garde-française qu’on lui apporte : c’est une robe de petite fille. Durant le voyage, il sera Aglaé, et sa sœur, Amélie.
Madame Royale lui ayant demandé ce qu’il croyait qu’on allait faire, il répondit : On va jouer la comédie puisque nous sommes déguisés !
La Reine confie en hâte la femme de chambre de sa fille, Madame Brunier, et celle du Dauphin, Madame de Neuville, au même personnage inconnu qu’auparavant. Il les accompagne jusqu’au Pont Royal où les attend un cabriolet conduit par un postillon choisi par Fersen qui doit les mener jusqu’à Claye, deuxième relais sur la route de Metz.

La Reine, suivie de Madame Royale et de Madame de Tourzel qui porte le Dauphin, prend un corridor qui coupe le château dans toute sa longueur et arrive à la porte communiquant avec l’appartement vide de Monsieur de Villequier. La Reine en possède la clef : le petit groupe pénètre dans la pièce démeublée qu’il traverse pour aboutir à une antichambre qui donne sur la cour des Princes par une porte vitrée. Un instant d’émotion : une ombre surgit derrière la vitre éclairée par les lanternes des voitures et de la cour.
C’est Fersen qui prend le Dauphin par la main. Ils descendent tous les marches du perron et, abrités derrière la longue file de voitures qui empêchent les nombreux gardes nationaux, cochers et domestiques qui grouillent là de les remarquer, ils se dirigent vers la citadine. Madame de Tourzel et les enfants y montent. Fersen grimpe sur le siège et sort posément de la cour. La voiture, après un petit détour par les quais et la place Louis XV, va stationner rue de l’Échelle, au coin de la place du Petit-Carrousel. On devine avec quelle émotion Marie-Antoinette l’a suivie des yeux autant que faire se pouvait !

La Reine regagne alors le salon où le comte de Provence est en train de prendre congé. Louis XVI se rend alors dans la Chambre de Parade où doit se dérouler, selon l’étiquette immuable, la cérémonie du Coucher. Il est 23h00. Le Roi remet son épée et son chapeau au gentilhomme de service et engage la conversation avec les assistants, dont notamment La Fayette. On parle de la procession de la Fête-Dieu qui doit se dérouler le jeudi 23 (dans 48 heures) et à laquelle le Roi a promis d’assister. Mais Louis XVI n’est guère à la conversation et son regard se porte fréquemment vers la fenêtre. Finalement, le Roi passe derrière la balustrade, se met à genoux le temps de réciter une oraison, enlève son habit, laisse tomber son haut-de-chausses et vient s’asseoir dans un vaste fauteuil. Ce dernier geste marque la fin de la cérémonie du Coucher. Deux garçons de la chambre lui enlèvent ses chaussures en les laissant retomber bruyamment, selon l’étiquette, tandis que l’huissier prononce les mots traditionnels : Passez, Messieurs ! . Tous s’inclinent et Louis XVI reste seul avec son valet Lemoine et le jeune garçon du château, Pierre Hubert.
Le Roi peut enfin gagner sa chambre et se couche, aidé par ses deux serviteurs. Lemoine ferme les rideaux de l’alcôve, va se déshabiller dans un cabinet voisin, et revient en silence dans la chambre du Roi où il a dressé son lit de camp. Il prend le ruban qui pend hors des rideaux et se l’attache au poignet, au cas où son maître voudrait le réveiller.
En réalité, Louis XVI s’est déjà glissé hors de son lit, est passé dans la chambre du Dauphin par la porte qui donne dans l’alcôve, et de là a gagné l’appartement de la Reine, à l’entresol. Il y endosse une redingote vert bouteille, un gilet brun et se coiffe d’un chapeau rond. S’étant muni d’une canne, il délivre Malden, enfermé depuis deux heures entre deux portes. Tous deux sortent par l’appartement de Monsieur de Villequier.
Une boucle d’un soulier du Roi se dénoue : il s’arrête et la rattache tranquillement. Les deux hommes se dirigent ensuite vers le corps de garde : depuis quinze jours, le Roi faisait régulièrement sortir par cette même issue le chevalier de Coigny, dont la silhouette est semblable à la sienne : les factionnaires n’y font plus attention.
Il est 24h00 et on devrait quitter Paris.

Durant ce temps, la Reine avait gagné sa chambre et donné calmement des ordres pour la promenade du lendemain. Ses femmes la déshabillent tandis que les valets tirent les verrous et ferment les volets intérieurs. Marie-Antoinette se couche. Il était 23h20.
Quelques instants plus tard, Madame Thiébaut vient aider la Reine à revêtir une robe grise et un mantelet noir ; elle la coiffe d’un large chapeau d’où retombe un voile. Marie-Antoinette fait glisser sans bruit le verrou et ouvre la porte qui donne sur le long couloir. Horreur ! Une sentinelle est là, faisant les cent pas.
Il a fallu à la Reine attendre plus de dix minutes, jusqu’à ce que la sentinelle tourne le dos, pour se glisser hors de sa chambre. Elle a pu alors gagner l’appartement de Monsieur de Villequier à la porte duquel un inconnu l’attendait. Par malheur, ils se sont ensuite égarés dans le labyrinthe des ruelles entourant la place du Petit-Carrousel et avaient même dû demander leur chemin à un garde.
Il est 0h45 quand Marie-Antoinette se glisse enfin, bonne dernière, dans la citadine.

Il était 22h15 quand la citadine était venue stationner rue de l’Échelle, face à l’hôtel de Gaillarbois, un meublé. De la voiture, on voit le portail des écuries du Roi. L’animation est grande dans la rue. Cochers, laquais, bourreliers, palefreniers, selliers bavardent et vont boire dans les guinguettes. C’est une chaude nuit d’été. Fersen se promène, faisant mine d’examiner ses chevaux, engageant la conversation avec un passant dans l’argot des cochers de remise, lui offrant même une prise dans une mauvaise tabatière choisie à cet effet. Marie-Thérèse ne peut dormir, alors que le Dauphin somnole. Madame de Tourzel guette avec anxiété par la portière.
Tout à coup, la rue s’illumine : des cavaliers portant des torches précèdent une voiture. Marie-Thérèse, qui a reconnu l’équipage de La Fayette, se rejette en arrière. Le Dauphin est blotti sous les jupes de Madame de Tourzel. La voiture passe : Gilles César n’a rien remarqué.
Le Coucher du Roi est donc terminé. Mais le temps continue de s’écouler. Madame Royale s’effraye soudain en voyant une femme qui tourne autour de la voiture et vient s’asseoir tout près. Fersen s’approche, comme en flânant, et l’aborde. La femme se lève : c’est Madame Élisabeth qui les tranquillise, assurant qu’aux Tuileries on ne se doute de rien.
À minuit passé, le Roi arrive enfin avec Monsieur de Malden. Mais il est presque minuit et demi quand la Reine ouvre la porte et se glisse dans la citadine.

Fersen prend les rennes, mais suit un itinéraire qui inquiète le Roi. Au lieu de se diriger vers la barrière d’Antin, il vient s’arrêter rue de Clichy, frappe à une porte et demande au portier si la berline est bien partie. Sur la réponse affirmative du domestique, Axel dirige enfin la citadine vers la Barrière.
Arrivé au pavillon de l’octroi, Fersen descend de son siège et s’avance sur la route de Châlons, où il avait donné ordre de faire stationner la berline, mais il ne trouve rien…. Il part à sa recherche. Durant ce temps, la famille royale demeure dans la citadine, tandis que résonnent dans la nuit, provenant de la guinguette voisine, les échos de la fête que donne un des commis de l’octroi pour son mariage. L’attente se prolonge….
Il y avait en effet possibilité de quiproquo. Deux routes partaient de la Barrière : celle de Belgique (l’actuelle rue de Flandre, dans le XIX°), à gauche, et celle de Châlons et de Luxembourg (l’actuelle avenue Jean-Jaurès). Le Roi descend à son tour, laissant les siens dans l’anxiété, et part à la recherche d’Axel, mais revient bredouille.
Le suédois revient enfin : il a trouvé la berline sur la bonne route, mais à près d’un demi-kilomètre de la Barrière, au niveau de l’actuelle rue de Meaux. La citadine vient bientôt se ranger immédiatement à côté de la berline, si bien que la famille royale peut changer de voiture sans mettre pied à terre. Fersen bascule la citadine dans le fossé, empêtre les deux chevaux dans leurs traits et monte sur le siège à côté de Moustier.
Il donne à son cocher Balthazar l’ordre d’activer les chevaux : il est 01h50 et les fugitifs ont près de deux heures de retard.

Les premières étapes

Trois quarts d’heures plus tard, la berline arrive à Bondy, où les limoniers commandés par Valory sont déjà tout harnachés. Balthazar et les palefreniers détellent les chevaux appartenant à Fersen. Celui-ci ouvre la portière et s’incline en disant bien haut : Adieu, Madame de Korff ! . Le Roi embrasse le suédois déguisé en cocher parisien et le remercie avec effusion. Les cochers et postillons déjà en selle durent être quelque peu étonnés du spectacle ! Valory s’élance pour préparer le prochain relais à Claye. Fersen, qui ne reverra jamais la Reine libre, gagne la Belgique. C’est la nuit la plus courte de l’année : le jour commence à poindre.
À Claye, deux dames attendent dans un cabriolet devant la poste depuis près d’une heure et demie : Madame Brunier et Madame de Neuville. On se retrouve avec joie. Tandis que les palefreniers s’affairent, Valory ouvre la portière de la berline et plonge la main dans un sac où il prend de l’argent. Une fois payés, les postillons de Bondy font part de leur étonnement à ceux de Claye qui montent en selle : Qu’est-ce que c’est que ce seigneur qui paye si bien ? Il a donné quatre livres et six sols de plus pour boire ! . Et la berline s’ébranle en direction de Meaux.
En chemin, le Roi déclara d’un ton de conviction : Soyez persuadés qu’une fois le cul sur la selle, je serai bien différent de ce que vous m’avez vu jusqu’à présent ! . Il lit à sa famille la déclaration qui doit être remise ce matin même au président de l’assemblée.
À 06h00, la berline arrive à Meaux. Le relais est situé en face de l’évêché. Les rues sont encore désertes. La berline repart bientôt. Saint-Jean est traversé à 07h00 : une heure pour trois lieues, ce qui n’est pas très rapide.
En approchant de la Ferté-sous-Jouarre, les voyageurs, raconte Moustier, commencent à entamer la cantine. Ils mangent sans assiette ni fourchette, sur le pain. En ce moment, dit Louis XVI à Malden en lui offrant à boire et à manger par la fenêtre, Monsieur de La Fayette n’a peut-être plus sa tête sur les épaules ! . Au relais, le Roi tire sa montre qui indique 08h00 et ajoute en souriant : Il est présentement bien embarrassé de sa personne ! .
À partir de là, la famille royale va multiplier les imprudences.

Atmosphère détendue

Au relais de Viels-Maisons, le Roi descend de voiture pour épancher de l’eau et donner le temps à sa famille de se mettre à l’aise, raconte Moustier. Il est 10h00.
La même opération se répète à Montmirail. Il est alors 11h00. Le retard est de trois heures sur l’horaire prévu.
À la poste de Fromentières, le Roi bavarde avec des personnes qui étaient venues là pour voir les passants. Moustier s’inquiète et tente de couvrir le Roi de sa personne pour le soustraire aux regards des curieux. Ne vous gênez point, lui dit Louis XVI : Je ne crois plus cette précaution nécessaire. Mon voyage me paraît à l’abri de tout accident. Il est 12h00.
La berline amorçant ensuite une descente rapide, Madame de Tourzel fait descendre les enfants de voiture pour un peu se délasser. Le Roi et la Reine en font autant. Lorsque la berline rejoint, Monsieur de Malden aide fort respectueusement le Roi (habillé en domestique) à remonter en voiture. Les postillons s’étonnent. Ils relaient à Étoges. Il est 13h00. Le rythme du voyage demeure donc aussi modeste : 3 lieues à l’heure (soit environ douze kilomètres).
À 14h00, la berline s’arrête devant le relais de Chaintrix. Le retard est de trois heures et demie. Valory a déjà fait préparer les neufs chevaux de trait et les deux bidets de poste. Le maître de poste, J.B. de Lagny, et son gendre, Gabriel Vallet, sortent au-devant des voyageurs et, stupéfaits, reconnaissent le Roi. Ils insistent pour que la famille accepte de se rafraîchir : on est au plus chaud de la journée et les enfants sont exténués. Louis XVI accepte donc. Les voyageurs oublieront d’ailleurs au relais deux écuelles d’argent marquées du chiffre royal.
Gabriel Vallet saute en selle, désirant conduire lui-même la famille royale jusqu’à Châlons. Il s’y prend trop vite et une roue de la berline heurte une borne du pont sur la Somme-Soude. Les chevaux s’abattent. Maître de poste et palefreniers se précipitent et les relèvent en criant et jurant, à grands coups de fouet. Mais il faut démêler et réparer les traits rompus. On repart enfin à vive allure. Mais le retard est désormais de quatre heures.
Il est près de 16h00 quand la berline s’arrête devant la poste de Châlons. Le maître de poste, Antoine Viet, mis dans la confidence par Vallet, presse le relayage. De nombreux curieux entourent la voiture de ces émigrés qui mènent si grand train. L’un d’eux a sans doute reconnu le Roi. L’homme va trouver le maire pour lui faire confidence de son trouble et proposer d’arrêter la voiture. Le premier magistrat de la ville, qui n’est pas d’opinion révolutionnaire, le convinc que les conséquences de cet acte risqueraient d’être très graves.
Toujours est-il que peu après le départ, un quidam rejoint la berline et crie par la fenêtre : Vos mesures sont mal prises ; vous serez arrêtés ! Le Roi ne s’en inquiète pas : quatre heures viennent de sonner et dans une heure et demie au plus la famille sera escortée par les quarante hussards de Monsieur de Choiseul qui l’attendent à Pont-de-Somme-Vesle.

L'escorte prévue n'est pas au rendez-vous

Il est 18h00 quand la berline arrive à Pont-de-Somme-Vesle. Pas l’ombre d’un uniforme militaire. Louis XVI ne s’en émeut pas et la voiture poursuit sa route, sans l’escorte qui devrait pourtant désormais assurer désormais sa sécurité, selon le dispositif du marquis de Bouillé. Les multiples petits incidents inhérents à tout voyage à cette époque retardent encore petit à petit les voyageurs.
La berline s’arrête à 20h00 pour relayer à Sainte-Menehould. Le maître de poste croit reconnaître la famille royale, mais ne bronche pas. La voiture repart dix minutes plus tard.

La ville haute de Varennes vue de la ville basse. Au centre, le beffroi qui a pris la place de la vôute de l'église de Saint-Gengoult. A droite, le bouquet d'arbres marque l'emplacement de la maison Sauce. (Photo J. da Cunha)

L’arrivée à Varennes

Les deux voitures doivent y relayer. Il est 22h40 quand la berline s’arrête à l’entrée du bourg : soldats et chevaux devaient les attendre là. Mais il n’y a personne. Les postillons refusent d’aller plus loin sans de nouveaux chevaux. Alors on cherche, on perd un temps de plus en plus précieux. Valory revient bientôt ayant battu les alentours en criant, mais sans rien trouver. La nuit est obscure et totalement silencieuse : il est 22h40.
Le Roi et la Reine descendent et font quelques pas. Il y a tout près une maison avec écurie. Louis XVI s’approche, frappe et demande si ce n’est pas là que sont les chevaux. De l’intérieur, une voix ensommeillée répond : Passez votre chemin ! . Madame Élisabeth et Madame de Tourzel descendent à leur tour
Les postillons refusent obstinément de doubler la poste, même moyennant les cinquante louis que Malden leur offre. Moustier part à l’aventure et entre chez un certain Monsieur de Préfontaine tout tremblant et peu aimable. Le Roi obtient finalement qu’il conduise Moustier jusqu’au couvent des Cordeliers, à l’autre extrémité de la ville, où devaient cantonner les hussards du Royal-Allemand. Ils n’y trouvent qu’un unique militaire qui ne peut rien leur apprendre.

La maison du principal acteur de la tragédie, l'épicier Sauce
Finalement, allèchés par un gros pourboire, les postillons ont consenti d’aller jusqu’à l’auberge du Grand-Monarque où le roi espère trouver le relais prévu. Le cabriolet s’engage sous la voûte de l’église Saint-Gengoult. Des cris retentissent aussitôt : Arrête ! Arrête ! Madame de Neuville et Madame Brunier descendent et se trouvent face à un homme maigre tenant une lanterne à la main : Vos passeports ? - La seconde voiture les a.
L’homme se dirige alors vers la berline qui s’est arrêtée devant la voûte et lève sa lanterne : Où allez-vous ? - À Francfort ! . Il demande encore : Votre passeport ? La Reine tend le document en disant : Qu’on se dépêche, nous avons hâte d’arriver. L’homme, l’épicier Sauce, procureur de la commune de Varennes, prend le papier et va l’examiner dans la salle commune de l’estaminet du Bras-d’Or. La berline vient se ranger devant la porte de l’établissement.

Sauce est perplexe : le passeport est en règle. Il ressort et éclaire l’intérieur de la voiture avec sa lanterne : il y a là trois femmes en voilette, deux petites filles, un gros homme à chapeau galonné. Allez, descendez, dit-il, ... Les passeports seront visés demain ! L’épicier offre sa modeste demeure pour passer la nuit : la famille royale pénètre dans la boutique.
Elle gagne l’étage où se trouvent deux petites pièces. L’épouse de l’épicier pose sur la table du pain, du vin et quelques verres. Madame de Tourzel couche aussitôt les enfants sur un lit dans la pièce voisine où ils s’endorment aussitôt. Une heure s’écoule ainsi. Aucun des assistants n’a jamais vu le Roi.
Sauce, qui s’était absenté, revient suivi d’un homme qu’il est allé chercher : le juge Destez, mari de la fille d’un officier de la Bouche de la Reine. Sitôt entré dans la pièce, Destez s’avance vers le Roi  et s’incline : Bonjour, Sire !
Louis XVI ouvre les bras pour embrasser Sauce : Oui, je suis votre Roi !

Le beau rêve s’arrête là. La tragédie commence.

Que s’est-il donc passé ?

Signalons pour commencer que le comte et la comtesse de Provence, pour leur part, sont partis de leur résidence, le palais du Luxembourg, la même nuit, chacun de leur côté dans une voiture légère, n’emportant qu’un peu d’argent liquide, et avec chacun une seule personne. L’un et l’autre sont parvenus sans encombre à Mons, aux Pays-Bas autrichiens, où ils se sont rejoints.
De nombreux facteurs ont contribué à l’échec de la fuite de la famille royale.

Imprudences
Tout au long de cette équipée, de la part de la famille royale et de ses fidèles, les imprudences ont été multipliées :
- dans sa préparation d’abord : bavardages, taille inhabituelle de la voiture, choix d’un mauvais itinéraire, personnel superflu, méconnaissance de la route choisie, date de départ constamment repoussée ;
- dans son exécution ensuite : impréparation des accompagnateurs habillés de livrées provocatrices et peu habitués à ce genre de voyage, dispositif de protection trop lourd et trop voyant, retards accumulés au cours du voyage, insouciance de la famille royale, utilisation comme messager d’un homme certes dévoué (Léonard) mais incapable, légèreté du comportement des officiers (Choiseul, Röhrig).

Incompétence et indiscipline militaires
On doit aussi noter de la part des militaires des comportements qui relèvent soit de l’incompétence, soit, ce qui est encore plus grave, de l’abandon de poste pur et simple.

Fersen, qui est un militaire, s’était plusieurs fois montré inquiet du dispositif conçu par le marquis de Bouillé : Si vous n’êtes pas bien sûr de vos détachements, il vaudrait mieux de n’en placer que depuis Varennes pour ne pas exciter quelques attentions dans le pays. Le Roi passerait alors tout simplement ! . Sage conseil qui n’avait en rien modifié les dispositions prises. Qui plus est, comme nous l’avons vu, le départ fut retardé de 24 heures au dernier moment. Bouillé s’en plaignit dans ses Mémoires : Ce retard du Roi me contraria beaucoup ; mes ordres avaient déjà été donnés pour le départ de plusieurs troupes, principalement pour les deux escadrons qui devaient se trouver à Clermont le jour de son passage et dont je fus obligé de doubler le séjour dans cette ville : ce qui donna des soupçons.

Et de fait, à Pont-de-Somme-Vesle, à Sainte-Menehould, à Clermont, à Varennes, la présence trop voyante des soldats, officiellement chargés de protéger le passage d’un trésor et qui attendent, désœuvrés, excitent l’inquiétude des populations. Le paiement des impôts en retard n’a pas été effectué et on craint une exécution militaire. Les cavaliers envahissent les estaminets et passent leur temps à boire. La discipline se relâche.

Le Roi n’avait fait qu’un seul voyage, en 1786, pour aller inaugurer les travaux du port de Cherbourg. Il s’était déplacé avec tout l’appareil que comportait alors un déplacement royal et n’avait pas eu à s’occuper en personne des détails matériels. Lors du départ pour Varennes, il devait en aller autrement : il était prévu que, de la porte d’Antin à Pont-de-Somme-Vesle, la voiture circulerait sans escorte, meilleur moyen pour ne pas éveiller l’attention. Le Roi devait donc se débrouiller avec la seule aide de trois gardes du corps, certes dévoués, mais qu’il ne connaissait pas et qui ne connaissaient pas la route.
Il est inconcevable, dans ces conditions, qu’aucun des deux responsables de l’opération, Fersen et le marquis de Bouillé, n’ait pris la précaution de parcourir lui-même la route, d’en dresser un rapport signalant au Roi les particularités du parcours, les zones dangereuses, l’opinion des populations traversées.
Il s’agissait de sauver la famille royale de ce qu’il faut bien appeler sa semi-captivité et de la mort qui menaçait. Il est dès lors impensable que ces deux responsables se soient inclinés devant une raison futile de pure étiquette pour abandonner l’idée de faire accompagner la berline par un homme sûr connaissant bien le trajet, le marquis d’Agoult.

À Pont-de-Somme-Vesle se trouvaient les 40 hussards du colonel duc de Choiseul. Il avait reçu du marquis de Bouillé des ordres très précis :
- attendre le Roi ;
- dès l’arrivée de la berline au relais, envoyer rapidement un courier aux autres détachements afin de leur annoncer l’arrivée prochaine de la famille royale ;
- suivre la berline à distance respectueuse jusqu’à Sainte-Menehould, passer là l’escorte au détachement de dragons qui y était stationné et, à la sortie de la ville, barrer avec ses hussards la route de Paris afin d’arrêter tout poursuivant éventuel durant 24 heures.
Environné de paysans hostiles alors que sonne le tocsin dans la campagne, énervé par le retard du Roi (qui n’avait malgré tout rien d’exceptionnel dans les conditions où s’effectuaient les relais de poste à l’époque), Choiseul décide de quitter Pont-de-Somme- Vesles sans plus attendre.
Qui plus est il envoie en éclaireur Léonard, qu’il avait amené avec lui, avec ces instructions : En passant à Sainte-Menehould et à Clermont, vous expliquerez aux chefs des détachements ma position et mon attente. Vous leur montrerez également ce billet. Le texte du billet est terriblement plus explicite : Il n’y a pas d’apparence que le trésor passe aujourd’hui ; je pars pour aller rejoindre Monsieur de Bouillé. Vous recevrez demain de nouveaux ordres. Avec cette initiative, Choiseul détruit tout simplement le dispositif mis en place par le marquis de Bouillé. Peu après, il quitte la place avec ses hussards.
Sauf erreur, en langage militaire, cette façon d’agir s’appelle un abandon de poste.
Une vive querelle opposera ensuite le duc de Choiseul au général marquis de Bouillé qui lui écrira : Vous avez quitté votre poste à Pont-de-Somme-Vesle, malgré les ordres précis que je vous avais donnés d’y attendre le Roi… Cette faute est d’autant plus grave que vous saviez que ce poste que vous occupiez était la cheville ouvrière de l’exécution du projet, et votre détachement, le principal chaînon de l’escorte du Roi, qui n’eût pas été arrêté vraisemblablement à Varennes, si cette première disposition, d’où dépendait le succès de toutes les autres, avait été exécutée. Votre présence à Pont-de-Somme-Vesle donnait de la tranquillité au Roi… Vous deviez protéger sa route en le suivant jusqu’aux autres détachements, que l’exemple du vôtre aurait probablement entraînés. Vous deviez laisser un détachement sur la croisière du chemin de Sainte-Menehould à Varennes pour arrêter, d’après les ordres, tous les voyageurs et courriers, ce que vous n’avez pas fait et ce qui est cause que l’aide de camp de Monsieur de La Fayette est arrivé à Varennes. Vous deviez enfin faire avertir tous les postes du passage du Roi, ce qui donnait le temps au relais de Varennes d’être placé à l’entrée de la ville.
Bouillé résumera ainsi ses reproches à Choiseul dans son rapport au Roi : Ils quittèrent ce poste de la plus grande importance d’où ils devaient donner l’impulsion à tous les autres et levèrent le détachement sans laisser qui que ce soit derrière eux.

À Varennes même, durant la journée, la présence de militaires n’avait pas inquiété la population. Sauce montrait même de la fierté de ce remue-ménage qui, pensait-il, donnait de l’importance à la commune que plusieurs détachements avaient traversée pour gagner leurs postes. Un détachement de 60 hussards, destiné à assurer le passage d’un trésor, y avait établi son cantonnement. Il était commandé par un sous-lieutenant de 23 ans, un allemand, Léonard Röhrig, qui n’ayant pas été mis dans le secret, avait laissé boire ses hommes toute la journée.
Sur l’autre rive de l’Aire, la rivière qui traverse le bourg, se trouve l’hôtel du Grand-Monarque, où deux jeunes officiers avaient pris une chambre ensemble : le capitaine de Raigecourt et le lieutenant chevalier de Bouillé, fils du général. Par mesure de précaution, ils avaient décidé de ne pas prendre contact avec Röhrig, mais s’étaient occupés de placer dans les écuries de leur hôtel un relais de onze chevaux, sous la direction du postillon du duc de Choiseul. Cette cavalerie devait être envoyée à l’entrée du bourg dès qu’un courrier annoncerait l’arrivée de la berline.
Ils entendent soudain le bruit d’une voiture et sont rejoints par Léonard. Choiseul ne lui a communiqué aucune instruction à transmettre à Varennes : ses ordres, ainsi que le billet, ne concernaient que Sainte-Menehould et Clermont. On ne sait quels sont les propos exacts échangés entre le coiffeur, complètement affolé, et les deux officiers, leurs témoignages respectifs étant contradictoires. Le jeune Bouillé s’empresse de lui fournir des chevaux pour qu’il s’éloigne au plus vite.
Les deux officiers vont alors trouver Röhrig et le capitaine de Raigecourt, conformément aux instructions reçues, le prévient d’avoir à se tenir prêt à escorter le trésor qui ne devait pas tarder à arriver. Il mit dans ses propos un tel air de mystère que Röhrig, perplexe, n’exécuta pas cet ordre.

Intervention des révolutionnaires

À 07h00 du matin, heure habituelle à laquelle Louis XVI se faisait réveiller, Lemoine s’était approché du lit royal en disant : Sire, il est 7 heures. N’obtenant pas de réponse, il avait entrouvert les rideaux du lit et constaté qu’il était vide. Pensant que le Roi avait peut-être passé la nuit chez la Reine, il avait décidé d’attendre.
Mais, dans les minutes qui suivent, l’absence du Dauphin, puis celle de Madame Royale avaient été constatées par le personnel de service.
La Fayette, puis Bailly sont alertés, ainsi que l’assemblée. Le général prend sur lui d’envoyer des courriers dans plusieurs directions pour arrêter la course de la famille royale. C’est un de ses aides de camp, Romeuf qui, prenant la bonne route sur les dires du postillon qui a conduit les deux femmes de chambre à Claye, s’élance sur la bonne route.
Il est 13h00 quand il franchit la barrière Saint-Martin où il apprend qu’un de ses camarades, le capitaine Bayon, est déjà passé voici une heure.
La berline a alors dix heures d’avance sur Bayon, mais il court deux fois plus vite.

Exténué, Bayon s’était arrêté à Chaintrix, mais de là il avait envoyé un émissaire chargé du billet suivant : De la part de l’Assemblée Nationale, il est ordonné à tous les bons citoyens de faire arrêter la berline à six chevaux dans laquelle on soupçonne être le roi, la reine, Madame Élisabeth, le dauphin et Madame Royale. Je suis envoyé à sa poursuite par la ville de Paris et l’Assemblée Nationale, mais comme je suis trop fatigué pour pouvoir l’atteindre, je dépêche le porteur du présent, à cet effet, lui recommandant de requérir la force publique. C’est finalement le maître de poste de Châlons qui porte ce billet jusqu’à Sainte-Menehould.
Drouet et le cabaretier Guillaume sautent en selle dès son arrivée et s’élancent vers Varennes, coupant par un raccourci. Ils arrivent par les hauteurs au petit bourg alors que la berline stationne à l’entrée, cherchant le relais.
Il s’en est fallu d’un quart d’heure pour que la famille royale puisse franchir le verrou de Varennes, après quoi elle eut été sauvée !

La journée du Dauphin

Réveillé la veille au soir alors qu’il était dans son premier sommeil, Louis Charles a pris cette aventure imprévue du bon côté, commençant par croire qu’il s’agissait de jouer la comédie puisqu’on l’avait habillé en fille : on lui avait précisé qu’il devait répondre au nom d’Aglaé, alors que sa sœur devait être Amélie. Passer la première déception de se trouver en fille, lui un garçon, il a dû trouver la situation fort drôle.
Les allées et venues du départ, assez mouvementé, ont certainement provoqué en lui une excitation qui l’a tenu éveillé après qu’il a un peu somnolé dans la citadine en attendant le Roi et la Reine.
Ce voyage était pour lui une aventure totalement inédite, un départ en vacance, loin des tracasseries de l’étiquette. Il était avec ses parents, apparemment fort tranquilles. Ils avaient mangé sur le pouce dans la voiture, ce que tous les enfants adorent. Il avait vu des paysages nouveaux, marché dans la campagne à côté de la berline, vu nombre de gens qu’il n’avait pas l’habitude de contempler.
Intelligent et curieux comme il l’était, cette journée a dû être pour lui un enchantement.
Lorsque l’inquiétude commencera à poindre dans la berline, il est vraisemblable que, fatigué de cette longue chevauchée, il dormait dans la voiture. Sans doute ne s’est-il même pas aperçu, ou fort peu, que Madame de Tourzel l’installait dans un lit chez l’épicier Sauce : à minuit passé, d’ordinaire, il dormait depuis longtemps.
Il avait exactement six ans deux mois et vingt-quatre jours.

Les illustrations de Varennes proviennent du livre d'André Castelot " Le rendez-vous de Varennes ou les occasions manquées " Librairie Académique Perrin, Paris, 1971.

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